Ils seraient une petite dizaine. Dix sur six millions d’électeurs potentiels. Quelques gouttelettes noyées dans un océan d’unanimité. Une pincée d’irréductibles farouchement opposés à la modification de l’article 101 de la Constitution rwandaise qui permettra au bien-aimé des siens, Paul Kagamé, de briguer un troisième mandat présidentiel alors que jusque-là la loi fondamentale n’en prévoyait que deux.
Voilà un ratio aux allures de plébiscite qui, à coup sûr, fera pâlir d’envie quelques-uns des pires autocrates habitués pourtant aux scores staliniens. Et son homologue soudanais, Omar el-Béchir, ne dira pas le contraire, lui qui en avril dernier s’est adjugé son énième mandat avec seulement 94,5% des suffrages exprimés. Décidément, même le tout-puissant successeur de Gafar el-Nimeri, malgré ses performances électorales, reste loin derrière le surdoué de Kigali.
Alors tant qu’à faire, ne devrait-on pas, sans autre forme de procès, proclamer la continuité à l’issue de ce qui devait être considéré comme le dernier mandat de Paul Kagamé ? Certes, dans sa forme le procédé sera loin de répondre aux exigences démocratiques et républicaines, mais dans le fond il permettra à coup sûr d’économiser l’argent du contribuable ainsi qu’une débauche d’énergie ; tout ça pour un scrutin présidentiel dont le résultat est connu bien à l’avance.
C’est donc l’esprit léger et sans la moindre crainte sur l’avenir de son régime que l’actuel et futur président du pays aux milles colline poursuit la réalisation des nombreux chantiers entamés au cours de ses mandats successifs. Ainsi, celui qui a apporté stabilité et croissance dans un pays dévasté par la guerre civile pourra paisiblement poursuivre sa politique axée sur la bonne gouvernance, le développement économique et la lutte contre la corruption.
Ainsi, le Rwanda postgénocide est sur les rails, et son dirigeant bien-aimé et respecté entend mener ce train-là jusqu’à bon port. Vice-président et ministre de la Défense de 1994 à 2000, il avait été désigné par le Parlement pour succéder au Pasteur Bizimungu démissionnaire. Depuis, Paul Kagamé vole de succès électoral en succès électoral : Ainsi, il a été réélu en 2003 avec 95% des voix, puis en 2010 avec 93% des suffrages exprimés. Jamais deux sans trois, serait-on tenté de dire au lendemain de ce plébiscite qui ne veut pas dire son nom.
Mais il faut dire que, depuis un certain temps, on voyait les choses venir, car après le carton plein de la pétition populaire, il ne restait plus que l’onction purement formelle du Parlement, largement acquis au parti au pouvoir. Seule note discordante dans ce concert d’approbation, celle du Parti démocratique vert, cette petite formation d’opposition qui, vent debout contre l’unanimité silencieuse, a cherché en vain un avocat pour porter ses arguments devant la cour suprême.
Comment pouvait-il en être autrement dans cet Etat policier dirigé d’une main de fer et dans lequel toute forme d’opposition politique est considérée comme l’expression d’un complot négationniste ? Kigali n’est pas sa voisine Bujumbura et encore moins la lointaine Ouagadougou où opposition et société civile ont bénéficié d’une liberté suffisante pour marcher et mobiliser les foules qui au terme des quatre glorieuses ont poussé Blaise Compaoré à la démission. Paul Kagamé, lui, tient bel et bien son pays et ne tolère aucune forme d’ingérence de l’extérieur. Les chancelleries occidentales ont beau s’égosiller ou, au contraire, user de tous les artifices d’une diplomatie bien rodée, rien n’y fait, car pour l’homme fort de Kigali et les siens « nul ne peut nous dicter notre conduite ». Alors le voilà donc reparti pour un troisième mandat… et plus si affinités.
Marie Ouédraogo
L'Observateur paalga |