Ses partisans étaient loin de se douter qu’en prenant le jet privé en direction de Bruxelles ce 24 janvier, leur gourou Etienne Tshisekedi effectuait son dernier voyage… dans tous les sens du terme. Evacué en catastrophe pour des raisons d’embolie pulmonaire, le leader de l’opposition congolaise est en effet décédé mercredi en début de soirée dans la capitale belge. Etienne Tshisekedi n’est plus. C’est un monument de la vie politique congolaise qui vient de s’écrouler dans sa 85e année.
Celui que les militants de l’UDPS et une bonne partie, pour ne pas dire toute l’opposition, pleurent est né le 14 décembre 1932 dans le Katanga. Premier diplômé de droit de son pays tout juste indépendant, on oublie bien souvent que la figure emblématique de l’opposition a été un Mobutiste de la première heure. Ministre de l’Intérieur en 1965, il a contribué à la rédaction de la Constitution de 1967, qui sera amendée trois ans plus tard pour asseoir le parti unique et le pouvoir à vie du Léopard du Zaïre, avant d’en être le plus farouche contempteur dès les années 80. La dérive dictatoriale, le culte de la personnalité et la prédation étaient alors à leur paroxysme. Mais on ne retiendra du patriarche que la deuxième partie de son parcours pendant laquelle il a lutté sans relâche pour que la démocratie soit dans son pays, combattant d’abord Mobutu puis Kabila père et fils.
Comme si c’était un clin d’œil de l’histoire, le Sphinx de Limété disparaît alors qu’il venait tout juste d’être porté à la tête du Conseil national de suivi de l’accord du 31 décembre 2016. Après un premier arrangement politique arraché aux forceps par Edem Kodjo et mort-né, la Conférence épiscopale du Congo (Cenco) avait, on le sait, remis les choses à plat pour que le pays ne sombre pas dans le chaos après la fin officielle du mandat de Joseph Kabila. Les évêques étaient parvenus à un compromis qualifié d’historique et qui prévoyait, entre autres mesures, l’organisation d’élections générales d’ici décembre 2017, la promesse faite par le président sortant de ne pas se présenter après la période de transition, le choix du futur Premier ministre au sein du Rassemblement, la principale plateforme d’opposition.
Mais comme toujours dans ce genre de situations, il est plus facile d’arracher un accord à des camps qui se combattent depuis des lustres que de le mettre en œuvre dans une atmosphère de méfiance et de bravades réciproques.
Et c’est à cette période charnière de l’histoire de son pays que le vieux combattant s’éclipse. Bien sûr, au-delà des réactions de circonstance, ses adversaires politiques ne regretteront ni l’omniprésence ni la vigilance de ce véritable « poil à gratter » qui leur a fait pousser tant d’urticaire. Ils pourraient même être tentés de croire que le moteur principal du Rassemblement définitivement éteint, la machine tant redoutée va désormais manquer de souffle. Autant de calculs qui pourraient être faussés car la chute du Baobab peut et doit constituer un ferment d’unité pour les opposants qui auront désormais à cœur de récolter ce qu’il avait semé pendant des décennies en poussant Kabila vers la sortie et en réalisant l’alternance si chère au cœur de « Ya Tshitshi ». C’est le plus bel hommage qu’ils puissent rendre à celui qui aura montré la voie.
H. Marie Ouédraogo
L'Observateur paalga |