« Choquée, offusquée, désemparée », l’opposition malienne ne manque pas de qualificatifs pour décrire sa colère contre le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK) après la répression d’une marche qu’elle a voulu organiser samedi dernier : en effet, sans ménagement, la police avait chargé les manifestants à leur sortie du siège de l’Alliance pour la démocratie et la paix (ADP) et dans divers autres endroits de la capitale, Bamako, samedi dernier. Bilan : une trentaine de blessés, dont un policier et un des 30 candidats à la présidentielle, Igor Mamadou Diarra.
Trois jours après cette répression brutale de la marche de l’opposition, des questions, les unes plus pertinentes que les autres, fusent de partout : pourquoi l’opposition a-t-elle voulu braver l’interdiction de manifester ? Pourquoi le pouvoir a-t-il choisi la manière forte pour l’en empêcher au lieu d’encadrer ladite marche ? L’état d’urgence, invoqué par les autorités, est-il synonyme d’interdiction systématique de manifester ? Comment battre campagne pour une présidentielle sans rassembler ses partisans dans la rue ? Bref, si l’état d’urgence est pris stricto sensu, quelle couleur aura la campagne présidentielle qui s’ouvre bientôt ?
Pour l’opposition malienne, à commencer par son chef de file, Soumaïla Cissé, le challenger le plus sérieux d’IBK, il ne fait pas de doute que la répression de leur manifestation est un signe qui ne trompe pas sur la crispation du pouvoir en place à l’approche du scrutin présidentiel. IBK et ses partisans auraient vu rouge devant la démonstration de force annoncée par l’opposition ce samedi. Disperser les manifestants, alors que les organisateurs appelaient à leur encadrement, est une preuve d’agacement des autorités de Bamako, toujours selon les organisateurs de la marche réprimée. C’est à croire que la colline de Koulouba, siège de la présidence malienne, a quelque peu perdu de sa tranquillité. En effet, depuis l’instauration de l’état d’urgence en 2015, on ne compte plus les manifestations, spontanées ou non, qui ont eu lieu au Mali, notamment à Kidal, à Tombouctou ou à Gao sans que les forces de l’ordre lèvent le petit doigt. Il est donc paradoxal qu’à deux mois de l’élection présidentielle elles fassent preuve d’un zèle, qu’on qualifiera alors de suspect, à charger des militants des partis d’opposition à un de leurs sièges.
A la vérité, si Aliou Boubacar Diallo, le candidat de l’ADP à la présidentielle, et les jeunes de son parti voulaient piéger IBK par leur refus d’obtempérer à l’interdiction de manifester, eh bien, c’est réussi. L’homme s’est comme pris les pieds dans son ample boubou de prince mandingue, et l’agitation des forces de police ce samedi dans les rues de Bamako est symptomatique de sa propre fébrilité face à la montée en puissance de ses opposants.
De fait, la répression de la marche de l’opposition est une faute politique et pas moins que le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’en est ému. Comme on le comprend ! Le Mali n’a vraiment pas besoin d’une crispation de sa classe politique qui s’ajouterait au péril djihadiste alors même que se pose le problème de la sécurisation du scrutin présidentiel à venir. On croise alors les doigts pour qu’IBK se démêle rapidement les pieds et que Soumaïla Cissé et les 28 autres candidats à la magistrature suprême n’aient pas les nerfs à fleur de peau. Il y a urgence à faire baisser la température sociopolitique au Mali avant que les joutes de la campagne électorale ne l’électrisent davantage.
Zéphirin Kpoda
L'Observateur paalga |