Nombreux sont ceux-là, au Burkina Faso comme ailleurs dans le monde, qui épousent l’idéologie de l’ancien président burkinabè Thomas Sankara. Certains ne l’ont pas connu de son vivant mais ont appris beaucoup de lui à travers diverses sources. En ce jour anniversaire de son assassinat le 15 octobre 1987, votre quotidien se propose de revenir sur la vie politique de l’homme. Histoire de rafraîchir les mémoires.
Thomas Isidore Noël Sankara, né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta, est issu de l’ethnie Silmimosse, ou encore « Peul-Mossi ». Son père, ancien combattant, fut prisonnier de guerre lors de la Seconde Guerre mondiale. C’est sous les drapeaux qu’il s’est converti au catholicisme alors qu’il était issu d’une famille musulmane. Thomas Sankara fréquente l’école primaire à Gaoua où il est aussi enfant de cœur. Il y prend conscience de l’injustice coloniale. Les prêtres comme ses parents s’attendent à le voir rejoindre le séminaire, mais il en décide autrement et entreprend ses études secondaires au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays. Il souhaitait être médecin mais un concours de circonstance l’amène à intégrer le Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) à Ouagadougou, à partir de la seconde. Après le Baccalauréat, il suit une formation d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabé, à Madagascar.
Rentré au pays, il organise la nouvelle génération des jeunes officiers, formés dans des écoles militaires à l’étranger, qui étouffent dans une armée dirigée par les anciens officiers de l’armée coloniale. Ces jeunes officiers se rassemblent d’abord sur la base de revendications d’amélioration de leurs conditions, ainsi que celles de leurs soldats, puis ils en viennent, peu à peu, à créer des structures clandestines proches des militants civils marxistes, eux-mêmes clandestins. En 1976, il se lie d’amitié avec Blaise Compaoré lors d’un stage au Maroc. Alors que l’intégration d’un nouveau membre au sein de la structure clandestine devait suivre une procédure stricte et progressive, Thomas Sankara demande à ses camarades d’accepter Blaise Compaoré sans passer par ces étapes. D’autres militaires qui joueront un rôle de premier plan lors de la révolution appartiennent déjà à cette structure. Henri Zongo, Boukary Kaboré, Jean-Baptiste Lingani et Abdul Salam Kaboré par exemple. La même année, il obtient des chefs de l’armée la création du Centre national d’entraînement commando (CNEC), situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au Sud de la capitale, dont il prend la tête.
Blaise Compaoré est adopté par le père de Thomas Sankara, comme un de ses enfants et il déjeûne tous les jours en famille quand il est à Ouagadougou.
En septembre 1981, Thomas Sankara devient, sous la contrainte et pour six mois, Secrétaire d’Etat à l’information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo. Mais, comme prévu, il démissionne le 21 avril 1982, et déclare en direct à la radio et la télévision « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! ».
Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d’Etat porte au pouvoir le médecin-militaire, Jean-Baptiste Ouédraogo. Certains y voient déjà la main de Sankara. Mais, en réalité, les initiateurs cherchent alors à bénéficier de sa popularité grandissante, alors que Thomas Sankara pense que les conditions d’une prise de pouvoir ne sont pas encore réunies. Des luttes internes au sein de l’armée aboutissent à sa nomination comme Premier ministre en janvier 1983. Il effectue alors différents séjours à l’étranger pendant lesquels il rencontre d’autres dirigeants du Tiers monde. Il invite aussi Kadhafi à Ouagadougou, ce qui exacerbe les luttes internes mais aussi attire l’attention des puissances étrangères. Il est limogé et mis aux arrêts le 17 mai, alors que Guy Penne, conseiller de François Mitterrand se rend à Ouagadougou. Pour Sankara, aucun doute, ces deux évènements sont liés. Blaise Compaoré refuse de reconnaître le nouveau pouvoir et réussit à rejoindre les commandos de Pô dont il avait pris le commandement sur proposition de Thomas Sankara, lorsque ce dernier était devenu Secrétaire d’État.
D’importantes manifestations de lycéens, à l’initiative du Parti africain de l’indépendance (PAI) et de l’Union des luttes communistes reconstruites (ULCR), se déroulent à Ouagadougou pour exiger la libération de Thomas Sankara, emprisonné à Ouahigouya. Il est finalement ramené dans la capitale et placé en résidence surveillée. Mais il bénéficie de nombreuses complicités au sein de l’armée, et il organise la prise du pouvoir avec ses amis militaires, et les organisations clandestines civiles. Il tente d’intégrer au processus révolutionnaire le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) qui refuse.
Après plusieurs reports, la décision est prise que le 4 août 1983 sera le jour J. Les commandos de Pô, sous la direction de Blaise Compaoré, descendent sur Ouagadougou, tandis que des civils parfois armés guident les militaires à l’entrée de la ville, participent à des missions de renseignements, ou favorisent l’arrivée des militaires, par exemple en coupant le téléphone. Thomas Sankara devient Président de la Haute-Volta, rebaptisée l’année suivante Burkina Faso, pays des hommes intègres. Dès la prise du pouvoir il appelle la population à se constituer en Comités de défense de la révolution (CDR).
Sankara se démènera sans compter pour sortir son pays du sous-développement, promouvoir de nouvelles formes de démocratie directe, et apporter le bien-être aux populations du pays. Beaucoup considèrent aujourd’hui qu’il est à la fois un leader charismatique, un visionnaire, et un formidable producteur d’idées qu’il tente de mettre en pratique sans tarder. Ses admirateurs, comme ses détracteurs, aiment à citer cette phrase : « Tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme ». Son intégrité et son engagement sont aujourd’hui rarement remis en cause, mais il est parfois critiqué pour avoir voulu aller trop vite. D’autres disent qu’il était pressé parce qu’il n’avait pas beaucoup de temps.
Des guerres internes
L’année 1987 va connaître beaucoup d’évènements politiques. La lutte interne va s’exacerber. Les syndicats se réorganisent et les CDR tentent d’en prendre la direction. Après avoir, en 1986, largement critiqué les dysfonctionnements des CDR, Sankara affiche clairement, en août 1987, sa volonté de faire une pause pour stabiliser le processus révolutionnaire. Il voulait lui donner des structures pérennes, notamment un parti politique qui rassemblerait différentes tendances, y compris celles qui sont hors du processus, comme le PAI. Mais il se heurte à une fronde interne, parmi des membres du Conseil national de la révolution (CNR), qui s’organise avec la bénédiction de Blaise Compaoré. Celui-ci, travaillé par Houphouët Boigny et les réseaux français, veut prendre le pouvoir et mettre fin à la révolution. Il a besoin d’une caution politique, tandis que des militants civils affirment vouloir combattre le réformisme de Thomas Sankara. Ainsi Sankara est notamment critiqué pour vouloir réintégrer des fonctionnaires qui avaient été dégagés, mais aussi pour vouloir unir les militants de gauche quand ses détracteurs souhaitent de nouvelles épurations ; pourtant, ils suivront pour la plupart Blaise Compaoré dans sa route vers le libéralisme économique et le rapprochement avec les puissances occidentales. Plusieurs d’entre eux seront victimes d’attentats pour avoir voulu s’opposer à ce changement de politique à la fin des années 80. En outre, ses détracteurs lui reprochent le licenciement de 1000 enseignants, des erreurs politiques, des violations «massives» des droits de l’homme, des exactions des CDR, la mise à l’écart des puissants chefs traditionnels des affaires politiques alors que depuis la colonisation ceux-ci jouaient un rôle important d’auxiliaires de l’administration et du pouvoir public. Les précipitations et le manque de concertation dans la prise de certaines décisions capitales pour le pays et une justice expéditionnaire figuraient aussi parmi les griefs contre Thomas Sankara.
Peu à peu les rapports se tendent entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Thomas Sankara souhaite préserver l’unité des militaires et, pour cela, leur demande de sortir des organisations civiles pour se regrouper au sein de l’Organisation des militaires révolutionnaires. En parallèle, il tente de créer des structures, et un fonctionnement plus collectif au Conseil national de la révolution. Il passe dans cette période difficile par des dépressions, mais n’abandonne jamais son combat pour l’amélioration de la révolution. Alors que, dans son entourage, on ne cesse de le mettre en garde contre le complot qui s’organise contre lui, il se refuse à intervenir et interdit à ses amis de neutraliser Blaise Compaoré.
L’intervention que devait faire Thomas Sankara le soir du 15 octobre est révélatrice de son état d’esprit d’alors. Il comprend que ceux qui conspirent ne le font pas par divergence politique, mais bien pour profiter du pouvoir et des avantages qu’ils pourraient en tirer. Il propose de prendre différentes initiatives pour aller de l’avant, « éliminer des rangs de la révolution » ceux qui complotent et entamer une tournée du pays où les dirigeants militaires de la révolution se présenteraient unis. Mais il ne prononcera pas ce discours.
Il est assassiné le 15 octobre 1987, avec plusieurs autres civils à ses côtés, ceux qui constituaient l’ébauche d’un Secrétariat du Conseil national de la révolution, qui n’existait pas jusqu’alors. Thomas Sankara est aujourd’hui devenu la référence d’une grande partie de la jeunesse africaine. Beaucoup d’hommes politiques se réclament de ses idéaux et de son modèle de développement. Il est aussi devenu le symbole de la lutte contre la dette pour le mouvement altermondialiste.
Synthèse de Daniel ZONGO
Source : www.thomassankara.net |