« Il meurt jeune, celui que les dieux chérissent.» Ce vers du poète Ménandre trouve en Thomas Sankara une parfaite illustration. Fauchée par des balles assassines dans la fleur de l’âge, 38 ans, l’icône de la Révolution burkinabè n’en finit pas, 30 ans après, d’habiter le cœur d’une multitude d’admirateurs et d’être célébrée comme un bienheureux martyr des causes justes.
Difficile, en effet, d’oublier le fringant capitaine qui, en quatre ans de pouvoir, a sorti le Burkina de l’anonymat de la misère pour le mettre sur orbite dans la galaxie des pays aux ambitions fortes, fiers et plus visibles dans le concert des nations. Le président Thomas Sankara a donné un nom honorable et une image respectable à son pays. Quoi de plus normal qu’on le célèbre 30 ans après sa mort et que, particulièrement, l’anniversaire de cette année revête le sceau de la sacralisation.
Du lancement de la souscription populaire pour l’érection d’un mémorial de souvenir à l’organisation d’une exposition et d’un panel sur son œuvre en passant par les ouvrages et les publications spéciales de la presse, tout, ou presque, y est passé pour célébrer la mémoire du héros. De là à parler d’un renouveau du sankarisme, il y a un pas vite franchi par certains observateurs.
Il est vrai qu’à l’heure de la globalisation, du capitalisme débridé dans une mondialisation unipolaire, non sans conséquences désastreuses sur l’aggravation de la pauvreté des couches sociales vulnérables, les jeunes des pays du Sud, notamment africains, ont besoin de repères altermondialistes peu ou prou anticapitalistes. En cela, la vie de Thomas Sankara peut s’offrir comme un exemple dans la droite ligne de celles d’un Che Guevara, d’un Patrice Lumumba, d’un Kwame Nkrumah, etc.
Va donc pour la célébration de l’héroïsme révolutionnaire, même si dans le battage médiatique actuel qui l’accompagne il y a véritablement de l’angélisme militant qui occulte les dérives liberticides, de négation des droits de l’homme, de violences morales et physiques avec des pertes en vies humaines dont le Conseil national de la révolution (CNR) et son président, Thomas Sankara, sont comptables devant l’histoire. Plus le temps passe, plus par bienséance dans le respect dû aux morts on oublie cet envers de la médaille pour n’en voir que l’endroit.
Pourtant, « nul ne gouverne innocemment », a dit le révolutionnaire français Saint-Juste et ce n’est assurément pas la bonne méthode pour écrire l’histoire des nations ni faire des enquêtes ou des reportages journalistiques que de donner dans la pensée unique du tout était beau et parfait chez Thomas Sankara sous la Révolution. Avec ou sans l’accord de ce dernier, la Révolution burkinabè a aussi fait des veuves et des orphelins dont les plus connus sont ceux du colonel Yorian Gabriel Somé et du commandant Fidèle Guébré.
Qui sait si Blaise Compaoré, sa garde rapprochée et ses amis politiques, promoteurs du Front populaire, puis plus tard de l’ODP/MT et du CDP, ne seraient pas passés de vie à trépas si le coup d’Etat du 15 octobre 1987, durant lequel Sankara a perdu la vie, avait échoué ? Que dire des syndicalistes, des milliers de travailleurs licenciés de la Fonction publique sans droits pour des raisons politiques pour ne pas dire politiciennes ? Questions à un sou.
La vérité est que ce renouveau sankariste est porté par l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et par la déchéance du pouvoir de Blaise Compaoré, présumé être le dernier maillon de la chaîne qui a ourdi l’assassinat du président du CNR. Dans un tel contexte, il y a véritablement de la peur qui induit une hypocrisie individuelle et collective qui amène à ne pas dire la vérité et toute la vérité sur le politique Thomas Sankara.
Des lobbies altermondialistes surfant sur cette vague, dans un militantisme adulateur, occultent les insuffisances sur le pluralisme, le multipartisme, l’Etat de droit démocratique tout simplement, portées à l’époque par le régime du CNR. On aboutit alors à un paradoxe : celui de célébrer le chantre d’un régime liberticide dans un contexte de renouveau des libertés démocratiques.
Cela n’est pas sans mettre mal à l’aise certains tenants du pouvoir actuel qui, par pur opportunisme, pactisent avec le sankarisme, après avoir aidé, dans le sens littéral du terme, Blaise Compaoré, celui à qui a profité le crime de l’assassinat de Thomas Sankara, à asseoir son pouvoir. Cet opportunisme n’est pas non plus sans hypocrisie et l’on se demande comment un renouveau du sankarisme peut être viable dans une démocratie véritable.
Cela est possible à une seule condition : retenir de l’homme les idées de patriotisme, d’intégrité, d’abnégation au travail, de solidarité avec les plus pauvres, de lutte pour l’émancipation de la femme, etc., et rejeter fermement sa méthode messianique, autocratique, populiste, impulsive et violente. Mais surgit alors une autre problématique : peut-on faire du sankarisme sans Thomas Sankara ? Ou comment faire du sankarisme sans Thomas Sankara ?
Pour n’avoir pas su répondre à cette question, les héritiers idéologiques de l’homme, malgré l’immense sympathie qu’ont les jeunes du monde en général et du Burkina en particulier pour ses idées, végètent dans des partis appendices du pouvoir ou de l’opposition. Ce 30e anniversaire de sa mort célébré en grande pompe avec des invités prestigieux moussera-t-il leur combat pour des lendemains électoraux plus enchantés ?
On attend de voir, non sans une bonne dose de scepticisme, tant les partis sankaristes sont divisés et ce qui leur manque le plus, c’est un leader charismatique à la hauteur de l’espoir que Thomas Sankara a suscité à un moment donné pour le peuple burkinabè. Pour exprimer cette insuffisance de leadership chez les politiques qui se revendiquent de son héritage idéologique, on paraphrasera Thomas Sankara lui-même en disant : « Les sankaristes qui se proclament de ses idéaux, on en trouve, ceux qui ont sa probité de vie, on en cherche. »
Bref, donnons quitus aux sankaristes de tous horizons pour leur ardeur à donner une charge émotionnelle à chaque anniversaire de la disparition de leur idole. Mais prenons garde à ne pas travestir l’histoire. C’est pourquoi on s’impatiente que la justice passe sur ce dossier et pour y contribuer, la France devrait accéder à la requête du juge d’instruction militaire d’avoir accès aux archives de l’Hexagone sur l’affaire.
Les apparences sont trompeuses et si les connexions étrangères soupçonnées d’être à l’origine de l’assassinat de Thomas Sankara sont avérées, certains exécutants locaux auraient une responsabilité pénale moindre, encore que, suivant l’affirmation de Cheick Amidou Kane, « tant qu’il y aura de l’histoire, toute vérité sera partielle, la vérité se place à la fin de l’histoire ».
La Rédaction
L'Observateur paalga |