Chronique. Mi-avril, la visite de la présidente de Taïwan Tsai Ing-Wen dans le petit royaume du Swaziland était un baroud d’honneur dont tout le sens se révèle aujourd’hui. Quatre jours à Mbabane pour rencontrer le dernier monarque absolu du continent, c’était beaucoup, mais finalement très important aux yeux de la République de Chine. Des six pays africains qui avaient des relations diplomatiques avec Taïwan en 2000, il n’en reste aujourd’hui plus qu’un, quasiment anecdotique, le Swaziland.
Le jeu de go diplomatique entre les deux Chine a définitivement tourné en faveur de Pékin. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a certes affaibli les positions américaines en Afrique – et indirectement celles de Taïwan qui profite du parapluie américain –, mais la raison la plus évidente et la plus pragmatique est bien financière. En déroulant ses « nouvelles routes de la soie » sur le continent à coups de milliards de dollars et de faramineux projets d’infrastructures, la Chine a donné un nouvel élan à sa politique du carnet de chèques. Mais, pour en profiter, il faut d’abord prêter allégeance. La Chine y est particulièrement sensible depuis que le président Xi Jinping a fait du retour de Taïwan à la mère patrie l’une de ses priorités pour 2020.
Un changement radical
La décision historique du président Roch Marc Christian Kaboré, jeudi 24 mai, de mettre fin à ses relations diplomatiques avec Taïwan se veut également en rupture avec la politique menée par Blaise Compaoré qui avait rétabli, en 1994, le lien avec Taipei. Le Burkina Faso avait alors profité de l’aide taïwanaise dans les domaines sanitaires et sociaux et des étudiants avaient bénéficié de bourses.
L’ancien président taïwanais Ma Ying-jeou s’était rendu deux fois à Ouagadougou. Blaise Compaoré est lui allé dix fois en visite officielle à Taïwan ! Le départ des deux hommes laissait prévoir un changement radical. Reste que, pour Taïwan, il était devenu de plus en plus difficile de s’aligner sur les largesses chinoises et, pour Ouagadougou, impossible de sortir le pays de l’ornière économique sans l’aide de Pékin. Depuis trois ans, les relations ��taient ainsi devenues de plus en plus compliquées.
Pour le Burkina Faso, la situation était aussi devenue difficile à tenir sur le plan diplomatique, sur des dossiers où on ne l’attendait pas. En marge de sa visite en Chine, le chef de la diplomatie, Alpha Barry, a ainsi révélé, lundi, que « lors de la table ronde des partenaires pour le financement de la force conjointe du G5 Sahel [réunissant la Mauritanie, le Niger, le Mali, le Tchad et le Burkina Faso] le délégué chinois a été clair : pas de financement au G5 Sahel à cause du Burkina Faso. C’était une situation inconfortable pour nous et aussi pour nos voisins ». Et vis-vis de la France également. L’ancienne puissance coloniale et partenaire incontournable pour Ouagadougou se démène en effet pour convaincre ses partenaires de participer au financement de ce programme régional de lutte contre le terrorisme au Sahel.
« Je dois dire qu’on sentait venir [cette décision] parce que les pays amis de Taïwan subissent depuis quelque temps une forte pression de la part de la Chine continentale », commente ainsi Céline Yoda, l’ancien ambassadeur du Burkina Faso à Taïwan, dans la presse locale, ajoutant : « Les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. »
Une victoire diplomatique
La vingtaine de projets de coopération entre les deux pays va ainsi s’arrêter brutalement. Pékin prendra-t-il le relais ? Rien n’est moins sûr. Qu’adviendra-t-il aussi de la centaine d’étudiants boursiers qui devront peut-être quitter Taïwan juste avant la fin de l’année universitaire ? Leur sort est en suspens. La fermeture brutale de l’ambassade de Sao Tomé-et-Principe, en 2017, avait laissé soixante-huit étudiants sur le carreau.
« Depuis 1994, l’assistance taïwanaise a toujours été très généreuse envers le Burkina Faso, faisant de ce pays une fenêtre, si ce n’est un modèle, de l’engagement de Taipei en faveur des pays pauvres, explique Jean-Pierre Cabestan, auteur d’une étude sur le sujet dans le Journal sud-africain des relations internationales. Dans le même temps, la Chine a su conserver ses liens commerciaux avec le Burkina Faso et la présence de ses sociétés y est bien plus importante que celle de Taïwan. « Comme partout dans le monde, la normalisation des relations avec la République populaire [de Chine] est donc devenue un sujet de politique intérieure au Burkina », conclut le sinologue français.
Une page se tourne et Roch Marc Christian Kaboré participera donc en septembre à son premier sommet Chine-Afrique à Pékin, avec tous les représentants du continent, sauf toujours le Swaziland. Pékin, lui, ne veut voir qu’une victoire diplomatique isolant encore un peu plus Taïwan sur la scène internationale. Avec le départ de Taipei et le retrait des Etats-Unis, les contre-pouvoirs à la puissance chinoise en Afrique sont de plus en plus rares.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.
Source: Le Monde |