De mémoire de Burkinabè, jamais pareil niveau d’abomination n’avait été atteint dans la contrefaçon de denrées alimentaires. Comme il fallait s’y attendre, c’est avec effroi que l’on a appris que de tristes individus s’adonnaient à une épouvantable fraude qui affecte directement la santé humaine. Et l’affaire fait grand bruit depuis jeudi dernier. A juste titre. En effet, ce jour-là, les éléments de l’Unité d’intervention polyvalente de la Police nationale (UIP-PN) ont mis la main sur deux entrepôts de canettes de sucrerie et de boîtes de concentré de tomate dont les dates limites de consommation (DLC) ont été falsifiées.
A Gampella, localité située à la sortie Est de Ouagadougou et au quartier Cissin, où ces pratiques de remballe ont été découvertes, le mode opératoire est le même : au moyen de solvant, les dates limites initiales de consommation (2 011 à 2014) sont soigneusement effacées puis impeccablement remplacées par d’autres en cours de validité. Reconditionnées dans des emballages, ces bombinettes à retardement sont par la suite chargées dans des camions de livraison.
Selon le directeur régional de la Police du Centre, le commissaire principal Marcel Paré, qui s’est rendu sur les lieux, ces usines de la mort appartiennent à un opérateur économique bien connu de la place et des services du fisc : il s’agit de Boureima Ouédraogo, alias OBOUF, du nom du groupe Ouédraogo Boureima et frères, dont il est le patron.
Quand on apprend que les produits alimentaires proviennent de la Tunisie via Lomé, on imagine aisément la chaîne de complicité dont a pu bénéficier l’entreprise incriminée dont 12 employés ont déjà été arrêtés en attendant, nous osons le croire, l’interpellation du big boss, qui serait actuellement en… Tunisie, ainsi que de tous ceux qui ont trempé dans ces boissons de la mort.
Certes l’affaire relève d’une très grave activité criminelle, mais gardons-nous pour le moment de condamner ses auteurs présumés avant les résultats des enquêtes de police et du parquet.
On ne cessera d’être scandalisés face à une telle banalisation de la vie humaine.
Que les petits arrangements avec le fisc et la douane soient devenus le sport favori de grands délinquants au col blanc, c’était archiconnu.
Mais que ces aigrefins sans foi ni loi en viennent à faire leur trou au détriment de la santé des populations, c’est dire jusqu’à quelle monstruosité certains prétendus hommes d’affaires sont prêts pour assouvir leur appétence maladive du gain facile.
Depuis quand ce tripatouillage de DLC est-il pratiqué ? Nul ne le sait pour le moment. Mais ce qui est sûr, ce qu’il convient d’appeler l’affaire OBOUF n’est que la partie visible de l’iceberg. Car il faut craindre que cette histoire de boissons périmées n’ait déjà fait tache d’huile dans d’autres filiales du commerce alimentaire.
Combien d’hectolitres de boissons périmées ont ainsi été déversés dans nos villes et nos campagnes ? On l’ignore jusque-là. Quand on sait que rien que la quantité saisie jeudi dernier dans le seul entrepôt de Gampela est l’équivalent du chargement de 40 camions de 32 tonnes, on n’est pas prêt à entendre la réponse à la question.
Quelles sont l’incidence de ces produits et son étendue sur la santé individuelle et publique ? On ne saura le dire.
En attendant, celui qu’on vient de prendre la main dans le pot de miel et tous ses éventuels complices devront répondre de leur forfaiture. Le glaive de la justice doit frapper dans toute sa rigueur.
Dans un Etat digne de ce nom où on ne badine pas du tout avec la santé publique, de telles pratiques relèvent tout du crime et portent incontestablement à conséquences.
Serait-il le cas dans ce Burkina Faso postinsurrectionnel ?
La sincérité des autorités de la Transition, dont la cote de popularité est en baisse selon un récent sondage, sera jugée à l’aune de la gestion de ce dossier.
« Plus rien ne sera comme avant », répètent-elles à l’envi. Eh bien, l’occasion leur est donnée de prouver que, loin de la phraséologie populiste comme rétorquent leurs détracteurs, ce slogan procède d’une réelle volonté de bâtir un nouvel ordre politique et judiciaire.
L’arrestation immédiate de 12 personnes dans le cadre de cette criminelle contrefaçon de DLC constitue déjà un grand pas dans cette marche contre l’abolition de l’impunité.
En effet, il y a quelques mois seulement de cela, on n’aurait pas imaginé qu’un soda, même périmé, puisse causer des soucis à un increvable bouffe-tout de la trempe d’OBOUF. De gros bonnets comme lui ne sauraient être inquiétés pour si peu. Accusés à tort ou à raison de connivence avec le pouvoir et dont les redressements fiscaux à hauteur de milliards de francs CFA sont effacés sur simples coup de fil, ils n’étaient justiciables de rien.
Alors, s’il y a quelque chose qui va beaucoup peser dans le bilan de la transition, ce sera bien cette affaire de falsification de date de péremption.
Voici donc la crédibilité de Michel Kafando, Yacouba Isaac Zida et Joséphine Ouédraogo suspendue à une cannette de boisson périmée.
La Rédaction
L'Observateur paalga |