Les animaux de compagnie, qui peuvent se définir comme des « bêtes domestiques tenant compagnie à l’homme par leur présence, leur beauté, leur jovialité ou leurs talents », ont toujours existé dans les cultures burkinabè. Cependant, depuis quelques années, avec la relative augmentation du niveau de vie et l’émergence d’une certaine classe moyenne, la demande et les goûts ont évolué vers plus d’exigence et de diversité. Décryptage du phénomène et rencontre avec quelques éleveurs ouagalais de pigeons, volailles et autres chiens, la plupart amateurs passionnés… mais qui ne demandent qu’à sortir ce secteur prometteur du marché de niche !
Il pénètre dans le couloir et pousse une première porte. Dans un coin, une mousse négligemment jetée en guise de matelas trahit la fonction de la pièce. Une chambre à coucher, aussi banale que spartiate. Mais à bien y regarder, une lueur blafarde se dégage des quatre planches de la malle en bois coincée entre les deux murs du fond. A bien écouter, quelques gazouillis semblent aussi s’en échapper. Et en soulevant le couvercle, c’est effectivement une douzaine de poussins que l’on découvre, couvés par une ampoule qui tente tant bien que mal de remplacer la chaleur de l’aile maternelle.
Il traverse le couloir et pousse une autre porte. Là, les poussins occupent tout l’espace, adolescents qu’ils sont, avec leur plumage naissant qui a recouvert le fin duvet des premiers jours. Une troisième porte, et cette fois-ci c’est carrément une volière qui se trouve au beau milieu de la maison! Des dizaines de pigeons de race virevoltent entre les fientes qui jonchent le sol et les casiers en bois adossés aux parois murales, venant de temps à autre picorer quelques graines de maïs ou bien nicher dans les canaris percés à cet effet.
Dans la cour-même, le propriétaire des lieux est fier de présenter ses nouvelles cages, abritant aussi bien des perruches ondulées que des poulets « cou nu » (ce que les Mossé appellent « Konkobré ») et des poules de race - des Brahma avec leurs pattes couvertes, aux Hollandaises et leurs boules de plumes autour de la tête, en passant par les « poules soie » et les imposantes Orpington, réputées les plus grosses du monde. La grande majorité de ces espèces ont été importées depuis la ferme de Beaumont, dans l’ouest de la France, par un Burkinabè fraîchement revenu de plusieurs années en Russie. Fasciné depuis sa plus tendre enfance par les columbidae et autres gallinacés, Moussa Touré espère pouvoir rapidement se professionnaliser.
Entre 50 000 et 200 000 FCFA le couple de pigeons de race
« Les clients sont aussi bien des Burkinabè moyens, des Européens ou des Asiatiques résidents au Burkina, que des Nigériens souhaitant faire découvrir de nouvelles races dans leur pays », développe Adama Sanou, un autre éleveur-revendeur qui fait venir l’essentiel de ses spécimens depuis le Sénégal et le Mali. Son enclos, implanté lui aussi en plein centre de sa concession, compte actuellement une quinzaine de variétés différentes de pigeons-géants hongrois (pattes plumées), cravaté chinois (collerette fournie), mondains (forme arrondie), frisés, strasser… Avec des prix oscillant entre 50 000 et 200 000 FCFA le couple*, la visée est purement ornementale, et autant dire que ceux uniquement intéressés par la chair peuvent rapidement passer leur chemin en direction du marché!
Les producteurs de volatiles « de compagnie », qui souhaitent se fédérer en association pour effectuer des achats groupés, s’échanger des pièces rares ou tout simplement organiser des expositions pédagogiques pour montrer la diversité des espèces, ne seraient qu’une dizaine aujourd’hui au Burkina Faso. Parmi ces passionnés, Edmond Ouédraogo a commencé en faisant se reproduire des couples de pigeons ordinaires. Avec l’argent récolté lors de la vente des petits, il a pu s’offrir ses premiers pigeons de race, les faire multiplier et ainsi de suite, jusqu’à posséder aujourd’hui toute une basse-cour peuplée de poules, d’oies, de dindons, de cailles, ou encore de lapins. A même pas 25 hivernages, le jeune homme parvient déjà à vivre de ce commerce qui s’annonce florissant.
« Il y a un vrai marché, parce que les animaux de compagnie ont toujours existé dans les cultures burkinabè. Avec l’augmentation du niveau de vie, c’est normal que la demande augmente et que l’on se dirige vers une offre de plus en plus diversifiée », explique Ludovic Kibora, directeur de l’Institut national des sciences des sociétés (INSS). Le mouton, le chien ou l’âne percevraient « ce que l’homme ne voit pas » et, selon les croyances, protègent des esprits maléfiques, allongent la vie et attirent la richesse. Pour l’anthropologue, la « mode » des animaux de compagnie ne correspondrait donc pas à une quelconque occidentalisation des modes de vie, mais au contraire à la poursuite d’une tradition authentiquement africaine.
Aimer son chien et accepter de dépenser 50 000 F CFA par mois pour l’entretenir
Autre lieu, autres mœurs ; autre animal aussi. Dans un quartier huppé de la capitale, une entreprise allemande vient d’ouvrir une boutique de croquettes, produits de soins et autres accessoires pour chiens, avec terrain d’entraînement tout équipé attenant. C’est le gérant actuel qui, ne supportant plus de voir sa dizaine de canidés s’ennuyer dans sa propriété, a décidé de construire ce vaste complexe. « C’est un lieu gratuit et ouvert où les propriétaires peuvent se rencontrer et discuter de leur animal. Il faut que les gens apprennent à aimer passer du temps avec leur bête », professe le jeune homme. D’origine étrangère, il remarque que la plupart des Burkinabè négligent leurs chiens et ne les utilisent que pour garder leur maison.
Justement, sept agents d’une agence de sécurité privée de la place suivent actuellement un apprentissage pour devenir maître-chien, dispensé par un dresseur français dont le pedigree - il a assuré la sécurité des circuits de Formule 1 et formé les brigades canines de plusieurs armées asiatiques- n’est plus à démontrer. « Au Burkina, les gens ont encore du mal à concevoir qu’il faut dépenser au minimum 50 000 F CFA chaque mois pour que son animal soit en bonne santé. Parmi la centaine de chiens que j’ai dressés ici, près des deux tiers sont déjà morts », déplore Tony Lebel, qui n’a pas quitté le pays un seul jour depuis plus de quatre ans, de peur qu’il n’arrive malheur à ses précieux quadrupèdes.
Selon lui, aucun des sites sécurisé par la société de gardiennage partenaire n’a plus été attaqué depuis que les vigiles patrouillent avec leur arme au bout de la laisse, et la demande devrait aller croissante, étant donné la situation nationale - multiplication des reniflements pour la détection d’explosifs, de drogue, voire de fraudes fiscales. Sur un tout autre registre, le Pr Kibora pronostique également l’explosion du nombre des animaux de compagnie. « Le phénomène va se développer avec l’accentuation des mutations sociales. Peu à peu, l’individualisme va prendre le pas sur la vie communautaire, la famille se nucléariser et on observera un transfert des sentiments vers « le meilleur ami de l’homme ». »
* Les pigeons sont cependant peu coûteux en entretien, tombant rarement malades et se nourrissant principalement d’arachides, de mil et de maïs
Thibault Bluy
L'Observateur paalga
Que dit la législation en matière d’importation d’animaux de compagnie ?
Avant de faire entrer tout animal sur le territoire burkinabè, il faut solliciter une autorisation préalable auprès de la Direction générale des services vétérinaires, rattachée au ministère des Ressources animales et halieutiques. Pour les chiens, le permis n’est délivré qu’après présentation d’un carnet de vaccination à jour, d’une attestation de santé et d’une autorisation de quitter le pays d’exportation. Concernant les volailles, il faut en plus s’assurer que l’animal ne provient pas d’une zone où sévit la grippe aviaire, et contrôler physiquement chaque lot à l’aéroport. Beaucoup de bêtes arrivant sur le territoire burkinabè par voie terrestre et n’étant pas déclarées, l’évolution du nombre d’animaux pouvant être considérés comme « de compagnie » reste néanmoins très difficile à apprécier. |