Le ministère en charge de la communication a organisé un débat public sur l’aspect juridique des réseaux sociaux, le 23 mars 2017 à Ouagadougou. Le Burkina Faso connaît de plus en plus des procès pour cause de diffamation sur les réseaux sociaux. Le ministère en charge de la communication, au constat de l’accroissement de l’usage des réseaux sociaux et des enjeux qui en découlent a donc posé, le débat, le jeudi 23 mars 2017 à Ouagadougou, sur le thème : «Réseaux sociaux, pouls de l’opinion publique ou créneaux de non- droit ?».
Sur fond de communications effectuées par différents spécialistes, le public invité s’est prononcé sur le bien et le moins bien sur le web 2.0 ainsi que les solutions possibles. Le premier panéliste, le Dr Cyriaque Paré, promoteur du journal en ligne Lefaso.net s’est prononcé sur les enjeux du journalisme numérique à l’ère des réseaux sociaux. Il a souligné que si le numérique a permis de démocratiser l’information, il a néanmoins retiré aux journalistes le monopole de l’information. Ce faisant, avec l’apparition du concept de «journaliste citoyen», la frontière entre le professionnel de l’information et le web activiste n’est plus évidente, «tout le monde» se retrouvant pratiquement journaliste, à pouvoir publier ce qu’il veut sur les réseaux sociaux. Les citoyens ont, dès lors développé une «boulimie» de l’information, qu’il a appelée «infobésité». En outre, cette nouvelle ère aurait redéfini, selon lui, un nouveau cycle de l’information (diffusion en temps réel et en continu), la course aux scoops ayant pris une grande importance. De même que le modèle économique traditionnel des organes de presse, certains ayant tout simplement disparu de l’univers médiatique. Mais pour le Dr Paré, il y a lieu de définir les limites entre journalisme et réseaux sociaux, puisque de son avis «le journalisme à l’ère du numérique demeure du journalisme avec les mêmes principes éthiques et déontologiques que dans les médias traditionnels». D’autant plus que contrairement au web activisme qui rime avec militantisme qui s’inscrit dans la défense d’une cause bien définie, la mission suprême du journalisme reste celle d’informer le public en toute impartialité et objectivisme.
Un espace virtuel, mais réglementé
Il y va de la crédibilité du professionnel, a-t-il dit. D’où la proposition de Cyriaque Paré de mettre en place un réseau de «fact checking» des médias burkinabè, pour aider à vérifier ce qui est vrai ou faux sur Internet. A sa suite, le colonel-major à la retraite, Mamadi Aouba, intervenant au nom de la Commission de l’informatique et des libertés (CIL) a planché sur les aspects juridiques des réseaux sociaux. Selon lui, les multiples usages des réseaux sociaux sont accompagnés de dérives et d’une nouvelle forme de criminalité. «La liberté ou l’illusion de liberté sur Internet amène à y voir un espace de non-droit. Pourtant, les actes qui sont posés dans ce monde virtuel ont des conséquences dans le réel», a-t-il indiqué. De l’avis de M. Aouba, la protection de la vie privée est un droit fondamental et des données à caractère personnel ont de la valeur qu’il faut respecter. L’un et l’autre sont protégés par des instruments juridiques internationaux et son institution est chargée de garantir leur respect. Il a, en outre, insisté sur les dangers que les utilisateurs des réseaux sociaux encourent : les traces (ensemble des informations personnelles qu’ils communiquent sur Internet), la violation du droit d’auteur, d’expression et à l’image, la diffamation, l’usurpation d’identité, le harcèlement, le chantage… S’il n’y a pas de régime juridique spécial rapporté à ce milieu virtuel, le substitut du procureur près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, Moumouni Sibalo a précisé que les réseaux sociaux ne sont pas non plus un espace de non- droit. Ce praticien du droit, qui était notamment à charge lors du procès de l’affaire dite «diffamation et injure publique sur Elisée Antoine Zong-naba» a indiqué plusieurs instruments juridiques, à savoir, la constitution, le code pénal et la loi n°058/CNT du 4 septembre 2015 régissant la presse en ligne (pour ce qu’il en est des publications par les médias professionnels sur les réseaux sociaux) sont applicables et sanctionnent par conséquent les infractions y afférentes.
Responsabiliser les utilisateurs
Les incriminations courantes sur les réseaux sociaux étant la diffamation, les injures, les atteintes à l’intimité de la vie privée, le montage de voix et d’image et l’escroquerie, tous susceptibles d’être punis, non seulement d’amendes, mais aussi d’emprisonnement pour les infractions commises par une personne autre qu’un professionnel des médias, a-t-il dit. Et de préciser que « les profils personnels, même des journalistes, ne sont pas considérés comme un espace professionnel de média d’information ». C’est le panéliste, Salouka Boureima, journaliste qui émettra un bémol sur la dangerosité des réseaux sociaux. «Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut réprimer à tout vent parce qu’il y a des dérives», a-t-il lancé. Car pour lui, l’expression citoyenne sur les réseaux sociaux est nécessaire à la bonne gouvernance. Ce, d’autant plus que des web activistes sont engagés dans des actions sociales collectives et humanitaires. La clé de «l’assainissement» du milieu réside en la responsabilisation des acteurs. A son sens, il faut éviter les faux profils et «gérer» les infos confidentielles et sensibles. Les avantages des réseaux sociaux ne doivent pas occulter la possibilité qu’ils offrent à des utilisateurs mal intentionnés de publier tout et n’importe quoi. Si dans certains milieux, ils sont considérés comme un «pouls de l’opinion publique», ils foulent dans certaines circonstances la pratique vertueuse de la communication. D’où la volonté de son département d’ouvrir le débat sur la nécessité de réglementer l’utilisation des réseaux sociaux au Burkina Faso, et interpeller les populations sur leur responsabilité à préserver leur vie privée et celles des autres sur la toile.
Fabé Mamadou OUATTARA
Hermann Guingané
(Stagiaire)
Sidwaya |