La région du Sahel burkinabè, jadis zone touristique, est depuis près de 3 ans en proie aux attaques perpétrées par des présumés terroristes, notamment dans les provinces du Soum et de l’Oudalan, frontalières avec le Mali et le Niger. En plus des Forces de défense et de sécurité (FDS), ces « individus armés non encore identifiés » ciblent principalement les écoles qu’ils incendient, menacent, enlèvent et assassinent les enseignants. Cela a conduit des établissements primaires et secondaires à fermer, privant ainsi des milliers d’enfants de leur droit à l’éducation.
Reportage !
Il est 11 heures ce jeudi 5 avril 2018 au Collège d’enseignement général (CEG) de Béléhédé, situé à 20 km de la commune de Tongomayel et à 40 km de la ville de Djibo, chef-lieu de la province du Soum. Comme à l’accoutumée, sous un soleil de plomb, « tout baigne » dans cet établissement où l’un des deux professeurs présents ce jour, vient de finir un cours en classe de 5e et s’apprête à rejoindre la salle des professeurs. Bien avant, il avait demandé à certains élèves qui faisaient du vacarme de rentrer à la maison, leurs professeurs étant absents. Bien que trainant les pas, ces derniers ont fini par quitter l’établissement. A quelques encablures du collège, nous informe une source, les élèves ont rencontré trois individus armés, visages cagoulés, juchés sur une moto et qui leur ont intimé l’ordre de retourner en classe. Face au refus du groupe d’élèves, ils ont tiré en l’air pour les dissuader, ajoute la source. «Ce sont ces premiers coups de feu qui ont alerté tout le village de même que nous qui étions au collège et les gens ont cherché à comprendre ce qui se passait », poursuit-elle. Ayant compris que les gens sont informés de leur présence, les assaillants ont tiré un peu partout. « Le CEG étant excentré, à environ 1 km du village, chacun a tenté de s’enfuir. C’était vraiment la panique à telle enseigne que chacun s’est réfugié dans la brousse », relate-t-elle.
Après avoir parcouru quelques kilomètres en l’espace d’une heure, les fugitifs reviennent au village par un grand détour vers 12 heures. « Nous avons eu la vie sauve grâce à Dieu. En courant, on entendait les tirs. Il n’y a pas eu de blessé, seulement des boursoufflures sur la plante des pieds vu que les gens ont couru pieds nus », retrace l’un des rescapés. A l’arrivée des Forces de défense et de sécurité (FDS) au collège, l’on voyait de la fumée se dégager, accompagnée d’une odeur de brûlure. A cela s’ajoutent les impacts des balles sur les murs et les portes dont certaines ont été défoncées. Les individus armés, ont entassé tous les documents administratifs, les dossiers des élèves, les bulletins de notes, les registres d’appels dans un bureau avant d’y mettre le feu. « Une moto personnelle d’un professeur a été calcinée et les deux téléphones portables de son collègue ont également été emportés », avance la source.
« Tourmentée et apeurée … »
Une semaine après l’attaque de Béléhédé, soit le 12 avril 2018, l’école primaire de Bouro, village situé à 10 km dans la commune de Nassoumbou dans le Soum a subi le même sort. Le pire est survenu, avec l’enlèvement de l’enseignant Issouf Souabo et la mort d’une de ses élèves, touchée par balle. Ce jour-là, une douzaine d’enseignants s’apprêtait à quitter les classes aux environs de 17 heures. Certains élèves étaient encore en classe et d’autres trainaient les pas dans la cour de l’école. Comme dans un film western ou des scènes hollywoodiennes, des individus armés font irruption, jettent leurs engins à deux roues à terre et se mettent à tirer en l’air. Panique générale ! Enseignants et apprenants crient et courent dans tous les sens, sous les tirs nourris, confie un témoin de la scène. Elèves et encadreurs prennent leurs jambes à leur cou pour rejoindre le village à près de 300 mètres. « Dans ma course, il y avait des élèves devant moi tandis que derrière moi, un des assaillants tirait en l’air sans cesse. Très tourmentée et apeurée, j’ai eu un croc-en-jambe et je suis tombée. J’ai eu des égratignures aux genoux », témoigne la victime. Elle dit avoir vu deux hommes armés alors que d’autres sources estiment qu’ils avoisinaient 10 personnes sur des motos.
C’est dans ce branlebas d’une quinzaine de minutes que les assaillants ont enlevé son collègue, Issouf Souabo. « Ils l’ont capturé et ont bandé ses yeux », détaille-t-elle. Souabo ne pouvait pas courir parce qu’il avait été victime d’un accident et s’était blessé aux genoux. « Les élèves ont rapporté qu’il a d’abord été conduit chez lui à domicile à près de 500 mètres de l’école. Une fois là-bas, ils ont pris sa moto, ses vivres et ses vêtements. Puis, il a été remorqué sur une moto, entre deux personnes », se remémore la rescapée. Et de poursuivre que les assaillants ont fait le tour de toutes les classes et ont emporté des sacs à main, des portables et même des galettes. Une trentaine de minutes plus tard après leur départ, le corps sans vie d’une élève de CM2, Sakina Sana, atteinte par une balle à la poitrine, a été découvert dans la cour de l’école.
Toutes les écoles primaires sont fermées…
Depuis l’année scolaire écoulée, des écoles sont incendiées, vandalisées et pire, des enseignants sont séquestrés, menacés verbalement et intimidés de dispenser le cours en arabe. Aussi, est-il exigé de certaines institutrices de porter le voile. Le directeur de l’école de Kourfayel dans la CEB de Djibo n° 2, Salif Badini a été assassiné, l’enseignant Issouf Souabo à Bouro, kidnappé et jusque-là, aucune nouvelle de lui. Tout cela a entrainé la fermeture de plusieurs écoles primaires et établissements secondaires dans les provinces du Soum et de l’Oudalan depuis des mois, privant du coup des milliers d’enfants de leur droit à l’éducation pourtant garanti par la loi fondamentale en son article 18.
L’école de Béléhédé ayant fermé après l’attaque, une de nos sources de cette localité suggère le déplacement des élèves et des enseignants dans une autre école afin de poursuivre les cours. Des informations concordantes font état de la prise en charge psychologique de tous les enseignants et les élèves victimes d’attaques de présumés terroristes à Djibo. A en croire la directrice régionale de l’éducation préscolaire, primaire et non formelle du Sahel, Angéline Neya, la situation à la date du 3 avril 2018 faisait état de 33 écoles non fonctionnelles dans la province de l’Oudalan et 87 dans la province du Soum, soit 120 écoles sur les 1 041 que compte la région du Sahel. Ce qui représentait un taux de 11,52%. Pour sa part, le directeur régional de l’enseignement post-primaire et secondaire du Sahel, Dramane Dermé, a signifié qu’au départ, 4 établissements ont dû fermer leurs portes uniquement dans la province du Soum, affectant ainsi des professeurs qui ont été redéployés. Dans l’Oudalan, souligne-t-il, le lycée départemental de Déou et le CEG de Tasmakatt, village situé à 25 km de la commune de Gorom-Gorom qui avaient fermé à un moment donné, ont repris les cours.
Avec la succession des attaques, la coordination des syndicats de l’enseignement et de l’éducation de la province du Soum a adressé, le 13 avril 2018, une correspondance au haut-commissaire de ladite province. Dans ladite correspondance, on peut lire : « Les travailleurs du secteur de l’enseignement de tous les ordres de la province observeront une suspension des activités pédagogiques sur l’étendue du territoire provincial pour une durée de 48 heures du lundi 16 au mardi 17 avril 2018 pour marquer notre désaccord avec la façon de gérer la sécurité des écoles ». Par ailleurs, la coordination estime qu’« Il revient à l’autorité de prendre des mesures sécuritaires adéquates ». A la date du vendredi 4 mai 2018, a fait savoir M. Dermé, tous les 38 établissements du post-primaire et du secondaire du Soum étaient fermés. Au total, 180 professeurs et 7 484 élèves sont affectés par cette situation. Au 30 avril 2018, affirme Angéline Neya, toutes les écoles primaires sont fermées dans le Soum, soit 393 écoles pour un effectif de 56 544 élèves. Le nombre d’enseignants est estimé à 1 616. A la même date, le nombre d’écoles primaires fermées dans l’Oudalan a évolué de 33 à 38 pour un effectif de 2 101 élèves et de 139 enseignants.
A deux reprises, le gouvernement a été interpellé
Pour le responsable de la coordination régionale des syndicats de l’éducation du Sahel, Alexis Mano, dès le début, le gouvernement a été interpellé sur la situation. « Malheureusement, nos inquiétudes se sont confirmées plus tard avec l’assassinat de notre collègue Salifou Badini et depuis lors, l’école est devenue la cible privilégiée des attaques après les FDS », déplore le syndicaliste. A l’issue de cela, la coordination a encore écrit au gouvernement pour lui faire part de sa colère et son mécontentement en lui demandant de prendre des mesures pour que cela n’arrive plus, explique M. Mano. Pour lui, si l’école est particulièrement visée après les FDS, cela pourrait s’expliquer par deux facteurs. D’abord, il soutient que l’école est l’institution républicaine la plus répandue, donc le premier représentant de l’Etat dans les villages. « Par conséquent, elle devient la cible privilégiée de ceux qui veulent s’attaquer à l’Etat », dit-il. La seconde raison, selon le responsable de la coordination régionale des syndicats de l’éducation du Sahel, «l’école c’est la lumière, le savoir et la connaissance alors que nous avons affaire à des groupes obscurantistes qui s’appuient sur l’ignorance des gens pour répandre leurs idées. Il se trouve que l’école déconstruit ce qu’ils développent », justifie Alexis Mano. Pour sortir de ce bourbier, il préconise que la responsabilité revienne à l’Etat d’analyser objectivement la situation et d’y apporter la solution qui sied dans la mesure où, il connait mieux ce qui se passe dans ces zones.
Souaibou NOMBRE
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Sidwaya |