Kalsaka : Après l’or, le désastre environnemental PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Sidwaya   
Jeudi, 17 Mai 2018 09:25

Inaugurée  le 30 octobre 2008 par la société Kalsaka Mining SA, la mine d’or de Kalsaka (province du Yatenga), située à 160 Km de Ouagadougou a  fermé ses portes après 5 ans d’exploitation. D’une superficie de 25 km2, cette mine devait sortir du sous-sol, 18 tonnes d’or selon les estimations. Mais, l’exploitation a causé d’énormes dégâts environnementaux dans la localité…

Des trous béants d’une profondeur d’environ 80 à 120 mètres, d’autres pleins d’eau de couleur verdâtre, des collines de graviers. Des femmes (enfants au dos pour certaines) et des hommes fouillent dans des trous. Ils creusent et remplissent des sacs de cailloux qu’ils stockent sous des arbres à quelques mètres des fosses. Lorsqu’ils nous aperçoivent, certains tentent de s’enfuir. D’autres restent scotchés à leurs grattoirs, pris de peur. «Ne fuyez pas! Ne fuyez pas. Nous ne sommes pas de la police», lance en langue mooré, l’un de nos accompagnants. Ces mots rassurent tout le monde dans ces lieux. A d’autres endroits, la couleur verdâtre et grisâtre du sol aride laisse percevoir l’impact de produits chimiques. Cet endroit auparavant plein d’arbres et d’arbustes est aujourd’hui quelque peu désertique. Des centaines d’arbres ont été abattus, d’autres engloutis par les montagnes de graviers. Nous sommes à la mine de Kalsaka, dans la région du Nord. Un département d’une superficie de 600 km2 et d’une population de plus de 60 000 âmes.  L’espace abritant la mine de Kalsaka jouxte le village de Kalsaka Centre, dénommé «Passage secret» compte tenu du fait que les orpailleurs ont pu, de ce côté, forer une partie du grillage qui entoure le site. A l’entrée principale, des agents des forces de l’ordre et de sécurité veillent. L’accès au site est strictement interdit à tout visiteur sans autorisation préalable de l’autorité compétente. Lorsque l’accès est accordé, il est strictement défendu de faire des images ou de filmer sur la mine.

 

Sur ces lieux d’une superficie de 25 km2 qui abritent la mine, plus de 300 paysans ont concédé leurs champs contre une indemnisation de plus de 200 000 F CFA par hectare. Cinq ans après, l’exploitation minière a fait place à un désastre environnemental. Alidou Sawadogo est le responsable des propriétaires terriens de Kalsaka. Vêtu d’un boubou cendré, l’homme au teint couleur d’ébène porte un bonnet blanc. Il habite à quelques centaines de mètres de la mine. Lorsque nous abordons le sujet, il se retourne plusieurs fois sur son banc, hoche la tête et croise les mains sur ses jambes. «Nous regrettons l’avènement de la mine!», nous lance-t-il. Le cinquantenaire explique sa désillusion par le fait que l’exploitation minière a ‘’tué’’ l’agriculture et l’élevage. Car, pour lui, en vendant leurs terres à vil prix, ils ont aussi vendu l’avenir de leurs enfants. Le comble dans ce qu’il convient d’appeler l’‘’affaire Kalsaka’’, ce sont les dommages causés à l’environnement par l’exploitation du gisement. En effet, depuis la fermeture de la mine, aucune mesure de restauration de l’environnement n’a été entamée. «Au départ, personne ne réalisait l’impact réel d’une exploitation minière sur l’environnement. Aujourd’hui, nous savons qu’en tant que cultivateurs, nous avons commis une grave erreur. Nous avons vendu notre principale source de revenus sans penser aux conséquences de notre acte. Quel sera l’avenir de nos enfants avec aujourd’hui si peu de terres cultivables et productives ?», se lamente Salam Sawadogo. Avant l’installation de la mine, le site servait de lieu de pâturage et d’agriculture aux populations, se souvient le Président du Conseil villageois de Kalsaka Centre, Idrissa Ouédraogo.

 

De l’eau polluée

Les arbres coupés n’ont pas été remplacés et beaucoup d’animaux sont morts sur le site soit en consommant l’eau souillée ou ayant été pris au piège dans les trous profonds, confie-t-il.

Outre la perte de leurs terres et les conséquences fâcheuses, les populations de Kalsaka sont confrontées à une autre difficulté majeure : la qualité de l’eau. Elles estiment que la nappe phréatique est polluée.  A ce propos, le maire de la commune de Kalsaka, Adama Ouédraogo, soutient que sans analyses claires, il est difficile d’affirmer que l’eau est contaminée. Cependant, pour avoir travaillé à la mine depuis son ouverture jusqu’à sa fermeture, celui-ci affirme que le poste qu’il a occupé lui a permis de se faire sa propre opinion. «Je connais la quantité de l’eau que nous déversions dans les bassins, et la quantité de solution qu’on pompait sur les hips. Et après nous maitrisions le volume d’eau qui se déversait dans les villages», déclare-t-il. Selon son témoignage, la mine utilisait deux tonnes de cyanure par jour pour le traitement de l’or. Ce produit était mélangé à d’autres matières qui formaient ce qu’il a appelé une «solution». Cette solution était alors pompée sur du sable écrasé et entassé appelé «hip» dans le jargon minier. La solution pompée sur  le sable, précise M. Ouédraogo, était de 200 m3 par heure. Si l’arrosage débute, il fallait attendre 72h pour recueillir ladite solution. «Pendant la saison pluvieuse, il y a de l’eau qui s’ajoute aux 200 m3 pompée. Et, elle se déversait dans les champs. L’on pouvait évaluer cette quantité d’eau à 120 m3 par heure dans le village surtout dans le mois d’août.  Personne ne pouvait piper mot», affirme le bourgmestre. A l’entendre, pendant que les populations soupçonnaient l’eau d’être polluée, la mine procédait à des prélèvements et à des analyses. Mais, à ce jour, atteste-t-il, personne n’a pu voir les résultats des analyses. «Ils étaient gardés secrets», susurre-t-il. Par ailleurs, M. Ouédraogo se fonde sur un autre exemple pour renforcer ses soupçons de pollution de l’eau. Il révèle qu’une entreprise sous-traitante avait acquis une motopompe d’une valeur d’environ 40 millions de F CFA pour pomper l’eau dans les fosses afin de travailler. Une opération qui s’est soldée par un échec. Or, l’ex-ouvrier de la mine, de l’expérience qu’il a, soutient sans ambages que si l’on met cette même motopompe dans le barrage N°3 de Ouagadougou dans le mois d’août, elle videra l’eau en 3 heures. «Pourtant, la motopompe a pompé l’eau ici pendant des mois, elle n’a pas pu la vider. Et jusqu’à présent, l’eau a toujours une couleur verdâtre. Cela veut dire qu’il y a des produits chimiques dans cette eau», affirme-t-il, l’air révolté. Un point de vue corroboré par Mahamadi Poré, chargé des questions familiales dans le bureau du Conseil villageois de développement. A ses dires, les visiteurs qui viennent à Kalsaka ne boivent ni ne se douchent avec l’eau de la localité. «Par manque de moyens, nous n’avons pas d’autres choix que de consommer cette eau, mais avec la peur au ventre», se résigne-t-il. Et Boukari Sawadogo, un habitant du village d’ajouter : «Notre plus gros handicap est notre analphabétisme. Nous ne comprenons rien en matière de textes ou de code minier. Sinon, nous allions poser nos conditions avant toute action sur notre site».

 

Une réhabilitation en souffrance

Dans les normes, lorsqu’une société minière exploite un site, elle a l’obligation de restaurer l’environnement à la fin de l’exploitation. L’objectif est de le rendre à son état initial. Ce, afin de permettre aux populations de reprendre leurs activités d’antan. Au Burkina Faso, toutes les sociétés minières sont tenues de cotiser à un fonds pendant l’exploitation. Un fonds qui devrait permettre la réhabilitation du couvert végétal. A propos des modalités de gestion, le code minier dit que le montant de la contribution annuelle de l’entreprise au fonds est égal au total du budget prévisionnel de réhabilitation tel que prévu par l’étude d’impact environnemental, divisé par la durée de vie de l’exploitation exprimée en années. L’article 141 du nouveau code minier (loi N°36-2015/CNT) précise que les sociétés minières industrielles sont tenues d’ouvrir et d’alimenter un compte fiduciaire à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Pour le cas de Kalsaka, la cotisation a été faite. À entendre le maire, le montant thésaurisé dans un guichet de la BCEAO s’élève à plus de 1,6 milliard de francs CFA. Intitulé Fonds de fermeture et de réhabilitation de la mine de Kalsaka, il est géré par le Fonds d’intervention pour l’environnement (FIE). Le dilemme est que la mine a été rachetée sans que la commune ne soit située sur l’usage réservé au fonds. «Faut-il restaurer l’environnement avant ou faut-il confier la mine au nouvel acquéreur et poursuivre la cotisation ?», s’interroge-t-il. Pourtant, dans le plan réhabilitation de la société minière, il était prévu que les tas de stériles soient décontaminés du cyanure, et que des bosquets de compensation soient créés. Dans ces bosquets, la mine devrait mettre en terre plus de 10 000 plants sur 50 hectares. En plus des arbres, des herbacées (andropognon gayanus et vetiveria zizanoïdes) devraient être en expérimentation sur le site. Selon les prévisions de la société, le processus de rétablissement du couvert végétal à Kalsaka devait se dérouler d’août 2015 à novembre 2016.  Malheureusement, elle a été confrontée à des querelles de leadership liées à la gestion du fonds. En effet, les ministères chargés des mines, de l’environnement et de l’économie n’arrivent pas à s’accorder, témoigne le Directeur des opérations (DO) du FIE, Daouda Kagoné. Il explique qu’il est prévu l’adoption d’un arrêté interministériel pour l’application des décrets de réhabilitation des sites miniers.  « Jusqu’à ce jour, les acteurs ne parviennent pas à un consensus », regrette-t-il. M. Kagoné soutient que trois facteurs bloquent le processus de fonctionnement du comité interministériel. Le premier est l’ancrage institutionnel du comité technique. Car, pour le ministère en charge des mines, ce comité doit être mis sous sa tutelle. Ce que réfute le département en charge de l’environnement qui revendique aussi la présidence du comité. Le deuxième aspect,  étaye-t-il, est lié à la composition des membres du comité. Là-bas aussi, les différents acteurs n’arrivent pas à s’accorder. Le troisième point concerne le type d’activités éligibles au fonds de réhabilitation.  «Kalsaka est la première victime de ces désaccords, si bien que jusqu’aujourd’hui, il n’y a pas d’institution qui permet sa réhabilitation», souligne-t-il. Toutefois, il précise que selon les textes, c’est bien le ministère de l’environnement qui devrait assurer la gestion du fonds de réhabilitation, donc du comité interministériel. Pour appuyer son argumentaire, le DO/FIE, explique que dans le nouveau code minier adopté en 2015, deux décrets d’application permettent l’opérationnalisation des sites miniers au Burkina Faso. Le premier décret règlemente la réhabilitation des sites miniers et le deuxième règlemente la réhabilitation de la sécurité des sites miniers artisanaux et lutte contre les produits chimiques prohibés. «L’article 2 précise que le fonds de réhabilitation est un guichet du FIE et l’article 3 dit que c’est le FIE qui est habilité à assurer la gestion du compte», confie le technicien de l’environnement. Même si le consensus n’est pas à l’ordre du jour, le directeur des opérations du FIE estime que d’ici à la fin de l’année 2018, chaque partie mettra de l’eau dans son vin.

 

Des vies en danger

En attendant cette réhabilitation, les orpailleurs ont occupé une partie de la mine où ils font l’extraction artisanale de l’or. Une situation qui accroît les risques sanitaires et environnementaux. A ce propos, le rapport 2017 de l’Organisation mondiale de la santé sur les risques pour la santé au travail et l'environnement associés à l'extraction minière définit des implications pour la santé et le bien-être des mineurs, des communautés avoisinantes et pour l'environnement en général. Les plus fréquemment cités comprennent la dégradation des terres, la pollution, les émissions de mercure, l'envasement, l'érosion et la contamination de l'eau. La dégradation de l'environnement peut également avoir de graves conséquences sur la disponibilité des aliments, notamment lorsqu'elle affecte l'agriculture, la pêche, la chasse et la cueillette, ou d'autres activités de subsistance réalisées pour produire ou se procurer de la nourriture, relate le document de l’OMS. Le mercure vaporisé se dégage dans l'atmosphère lors du processus de brûlage. Une fois oxydé, il se dépose ensuite sur les sols, les lacs, les rivières. Les bactéries peuvent transformer le mercure rejeté dans l'environnement en méthylmercure qui s'accumule dans la chaîne alimentaire. Les individus dont le régime alimentaire est fondé en grande partie sur ces aliments sont ainsi exposés au mercure et les effets peuvent être extrêmement néfastes pour leur santé. En raison de son fort taux de récupération de l'or, le cyanure est beaucoup utilisé. Les composés mercure-cyanure sont facilement dispersés dans l'eau et par conséquent, peuvent accroître la mobilité et/ou la biodisponibilité du mercure dans l'environnement, révèle le rapport 2012 du Programme des Nations unies pour l'environnement. La même source prévient que si le cyanure ne reste pas dans l'environnement, un stockage, une manipulation et une gestion des déchets inadaptés peuvent avoir de graves effets sur l'environnement et la santé humaine. Le cyanure interfère avec la respiration humaine au niveau cellulaire et peut avoir des effets graves dont l'accélération du rythme respiratoire, des tremblements, l'asphyxie et la mort. Les effets chroniques peuvent être les lésions neuropathologiques, difficultés respiratoires, douleurs thoraciques, nausées, maux de tête et élargissement de la glande thyroïde.

 

Gaspard BAYALA

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Sidwaya

Mise à jour le Jeudi, 17 Mai 2018 09:27
 

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