Comme un canasson rétif qui freine des quatre fers quand il se sent gagné par la peur, Hissène Habré a une fois de plus voulu faire la grève du prétoire. En effet, hier à la reprise de son procès à Dakar, il a refusé de comparaitre de gré, obligeant ses juges à envoyer la force légitime, c'est-à-dire la garde, le quérir manu militari. Et c’est comme toujours, au cri de «A bas l’impérialisme, à bas le colonialisme» et porté par des gaillards cagoulés qu’il a fait son entrée, vêtu comme à son habitude d’une gandoura immaculée et coiffé d’un turban qui ne laissait deviner que son regard dissimulé derrière des verres noir.
Un accoutrement candide qui décidément tranche avec le rouge du sang qu’il est réputé avoir sur les mains. Faut-il le rappeler, l’ex-geôlier de madame Claustre et de tant d’autres est poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et tortures.
Il y a 45 jours, à l’ouverture de ce procès historique parce qu’inédit en Afrique, l’ex-dictateur avait eu recours à une stratégie similaire, se présentant sans défense et réfutant la légitimité de la Cour. «A bas l’impérialisme, à bas le colonialisme», avait déjà scandé le célèbre inculpé qui s’était alors vu attribuer trois avocats commis d’office, lesquels bénéficieront de ces quelques semaines de répit pour potasser l’épineux dossier.
A croire qu’après plusieurs décennies d’impunité, le potentat déchu a opté pour une stratégie de blocage systématique. Mais de quoi au juste a-t-il peur ? Des témoignages et des regards forcément accablants de ses victimes ou de leurs ayants droit ? De la peine forcément lourde à laquelle il risque fort d’être condamné ? Du jugement de l’histoire ?
Qu’importe la réponse, car qu’il le veuille ou non la justice est lancée et suivra son cours. Il se fout du monde à se plaindre du sort qui lui est réservé, lui qui a passé tant d’années à se la couler douce au pays de la Téranga grâce aux milliards dérobés au Trésor public tchadien. Voilà donc un prédateur de deniers publics, un tortionnaire dont le règne de terreur aura fait près de 200 000 victimes et pas moins de 40 000 morts. Aujourd’hui qu’il est sur le banc des accusés, le commanditaire de tant de crimes se pique d’être la victime d’une justice au service de l’impérialisme alors que dans son malheur supposé il devrait encore s’estimer bien chanceux. Que dire en effet de tous ceux et de toutes celles qu’il a envoyés ad patres sans autre forme de procès, ou encore de toutes les personnes qui ont survécu à l’enfer de la tristement célèbre piscine ? En somme de tous ces malheureux à qui il n’aura pas, lui, donné la chance de comparaitre dans un procès équitable ?
Le voilà donc contraint d’écouter l’accablante litanie de ses crimes racontés par les survivants de son régime et de feuilleter les pages sombres de l’histoire de son pays. Une longue série dont il aura lui-même écrit le scénario en lettres de sang.
H. Marie Ouédraogo
L'Observateur paalga |