C’est dans le calme que les Ivoiriens ont voté, hier, pour élire leur président, parmi les sept candidats en lice. C’est le président sortant, Alassane Ouattara, qui est en passe de gagner la confiance de la majorité de ses compatriotes votants, et cela, dès le premier tour qui n’a pas, disons-le, drainé du monde dans les urnes. Contrairement à la présidentielle de 2010 où plus de 80% d’électeurs s’étaient rendus en colonne couvrée dans les bureaux de vote pour exprimer leurs suffrages.
Depuis cette date, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts Houphouët Boigny et Henri Konan Bédié, et d’une certaine façon, on s’attendait cette année à cette timide mobilisation des électeurs dont la majorité estime, pour des raisons diverses, que la victoire du président sortant est d’office acquise. Il faut en chercher les raisons dans la déchirure sociale de la Côte d’Ivoire après la double victoire dans les urnes et ensuite par les armes de Alassane Ouattara sur son challenger de 2010, Laurent Gbagbo, et dont les stigmates sont encore bien visibles à l’Ouest et au Sud du pays. Le Front populaire ivoirien (FPI) (l’aile radicale) a appelé hier ses militants à boycotter le scrutin afin de délégitimer la réélection de celui par qui leur malheur est arrivé, le président Ouattara pour ne pas le nommer. On retiendra aussi que l’aile dissidente du PDCI-RDA représentée par le truculent KKB (Kouadio Konan Bertin), qui n’a pas pardonné à l’inamovible président du parti, Henri Konan Bédié, son fameux « appel de Daoukro » à soutenir le président sortant et président du Rassemblement des Républicains, toute chose qui fera perdre de nombreuses voix à ADO.
En plus de ces deux groupes de frondeurs qui, sachant la bataille électorale perdue d’avance, se sont attelés à jeter un discrédit sur la réélection plus que probable de Alassane Ouattara en snobant le scrutin d’hier, il y a de nombreux inscrits qui, par dépit ou par désaffection vis-à-vis de la politique, n’ont même pas daigné retirer leurs cartes d’électeurs, a fortiori se présenter devant les bureaux de vote pour accomplir leur devoir civique. On comprend alors pourquoi le seul enjeu pour le candidat à sa propre succession était le taux de participation.
Alassane Ouattara serait bien inspiré de savourer avec humilité la victoire facile qui se profile
Pour autant, la victoire sans panache et sans concession de Alassane Ouattara, qui est en train de se dessiner, ne saurait étonner les observateurs et analystes politiques, au regard de son bilan économique qui force l’admiration de ses compatriotes, y compris - sans le dire - de ses détracteurs. Le taux de participation, pour important qu’il puisse être dans l’appréciation de la popularité ou de la légitimité du candidat élu, ne saurait, quel que soit son niveau de faiblesse, remettre en cause la validité ou la régularité de l’élection, surtout en Afrique où les citoyens n’ont pas toujours une réelle conscience de la portée de leur vote sur le devenir de leur pays. On pourrait donc considérer ce que d’aucuns ont exagérément qualifié de « désert électoral », comme une défaite collective de la classe politique ivoirienne tous bords confondus. Ceux qui se délectent du manque d’enthousiasme constaté, hier, dans les bureaux de vote, en pointant déjà du doigt une réelle ou supposée impopularité du régime en place, auraient pu mobiliser en effet leurs militants afin de mettre le président sortant au moins en ballotage. Et se liguer par la suite au second tour pour « sortir le sortant », pour reprendre une expression du cru de Joseph Ki-Zerbo. Au lieu de cela, les candidats de l’opposition se sont ruinés dans une guerre picrocholine de leadership dans une Coalition nationale pour le changement (CNC) qui n’a de Coalition que le nom. Avant de reconnaître publiquement et bruyamment, pour certains d’entre eux, leur incapacité à infléchir la trajectoire victorieuse de Alassane Ouattara, en jetant l’éponge à quelques jours seulement du scrutin. Cette stratégie du lépreux qui, ne sachant pas traire la vache, décide par dépit de renverser la calebasse de lait, ne peut pas faire recette dans le cas d’espèce. Et de « vieux pères » comme on dit en Côte d’Ivoire, tels que Charles Konan Banny et Amara Essy qui sont quasiment tous au soir de leur vie politique, devraient le savoir. Ce désistement in extremis a peut-être simplement eu le mérite, si c’en est un, de réduire le taux de participation. Mais il ne permettra certainement pas à l’opposition dans son ensemble d’éviter la raclée, ou plutôt la fessée électorale que le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) va lui administrer. Et au-delà de cet échec à l’élection présidentielle d’hier dimanche, c’est une opposition à l’image complètement lessivée qui en sort groggy, avec le risque élevé de ne pas retrouver ses marques pour les échéances électorales à venir. Cela dit, Alassane Ouattara va certes mettre ses concurrents au tapis, mais il serait bien inspiré de savourer avec humilité et modestie cette victoire facile qui se profile, car les défis qui l’attendent sont énormes, à commencer par la réconciliation nationale et la justice pour toutes les victimes de la crise post-électorale de 2011.
Hamadou GADIAGA
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