Les habitants du pays des hommes intègres ont mal à leur armée. Et ils ne se cachent plus pour le dire. A vrai dire, il y a de quoi. Ces derniers mois, plus qu’à un tout autre moment de leur histoire, la Grande muette, s’éloignant du rôle républicain qu’elle est censée jouer, les a brimés, lésés, violentés, volés et a saccagé leurs biens ; et ce, au motif qu’elle réclame des revendications dont on croit que si certaines d’entre elles étaient justifiées, elles ne commandaient pas que les hommes en treillis ignorent toute morale et toute retenue dans le seul but qu’on leur concède un peu plus de beurre sur leurs épinards.
Les Burkinabè sont unanimes à le reconnaître : on attendait plus et mieux de cette armée, qui, après tout, se compose de fils de cette nation et se nourrit à la sueur du front des habitants de ce pays.
A tel point que s’observe comme un tir groupé ayant pour objectif une seule et même cible : la grande muette. Le Conseil de concertation sur les réformes politiques (CCRP), qui planche en ce moment dans le but de trouver une solution à la crise, en a fait son plat de résistance ; la délégation de l’Union européenne qui a rencontré celle du ministère des Affaires étrangères, il y a quelques jours, a, sans langue de bois aucune, demandé ni plus ni moins qu’une«réforme de l’armée».
Et la dernière salve en date provient du nouveau premier ministre, Luc Adolphe Tiao, qui, au matin du 7 juillet 2011, sur les antennes d’un média international, courageusement, parlait, au sujet de l’armée burkinabé, d’une «crise profonde», préconisant des «solutions définitives» à la difficile question de la «gouvernance» en son sein dans le but de retrouver l’esquisse d’une «armée républicaine».
Pour ce qui est donc de l’armée burkinabé, l’unanimité est faite ; ceux qui ont voix au chapitre tout comme ceux qui ne l’ont pas s’accordent sur ce point : elle ne peut pas, elle ne doit pas continuer comme cela ; il faut donc la réformer ; oui ! Mais comment ?
Et l’interrogation vaut son pesant d’or, car les maux qui minent la grande muette au pays des hommes intègres sont immenses, divers, et certains d’entre eux datent de plusieurs décennies. Trouver la panacée ne sera pas, loin de là, une sinécure.
Plus que des lézardes, on devrait plutôt parler, à propos d’elle, de tares profondes qui en rendent malade le corps tout entier. On citera pêle-mêle la perte progressive de tout sens de la discipline, pourtant la vertu cardinale de toute armée digne de ce nom ; ce qui fait que de simples recrues refusent la plus élémentaire politesse à des officiers supérieurs, au motif que ces «petits bleus» ont été jugés dignes d’arpenter des couloirs de «grands».
Ce comportement est sans doute un des vestiges de l’ère révolutionnaire, qui privilégia une certaine aile de l’armée nationale au point d’en faire des superhéros qui firent tout trembler, à la seule évocation de leur nom, civils, bien sûr, mais aussi militaires des autres corps de l’armée nationale. A ce jour, les militaires burkinabè fustigent ce fonctionnement à deux vitesses de leur corps, qui fait que certains d’entre eux ne manquent de rien tandis que d’autres ont besoin de tout.
A cela s’ajoute le fossé qui sépare les «chefs» des petits qui composent la troupe. Les premiers ont abandonné la traditionnelle «Jeep» de commandement pour les rutilantes 4x4 au point d’oublier que le petit caporal qui veille dans la guérite vient assurer la garde en se déplaçant péniblement sur un vieux VTT qui reste entier presque par miracle.
Sans compter que l’armée, à ce jour, on n’y va plus vraiment par patriotisme, mais plutôt dans le but de se trouver un job. Il se dit que les salaires n’y sont pas faramineux, mais c’est toujours mieux, cela, que de se retrouver chômeur à 23 ans.
Si on ajoute à toute cette panoplie de dérives constatées le fait que les contingents de recrutés sont essentiellement constitués de jeunes fortement recommandés par tel ou tel militaire haut gradé et que la formation morale et civique, si elle existe, est réduite à sa plus simple expression, on file tout droit vers la conclusion, somme toute normale, que les tares dont souffre la Grande muette au Burkina sont la résultante d’incuries sévères et de négligences coupables, traînées depuis de longues années, grossies avec le temps, et dont aujourd’hui la nation entière ne fait que payer le juste prix.
Il ne reste plus alors, à qui de droit, qu’à nettoyer les écuries des casernes militaires ; froidement, courageusement, sans passion, mais sans faiblesse aucune. Le Premier ministre, Luc Adolphe Tiao, parle déjà d’une centaine de mutins mis aux arrêts et de 5 à 600 autres sur les cas desquels la justice aura prochainement à se pencher. On ne devra pas s’en arrêter là.
Ce sont toutes les composantes de cette armée qu’il faudra passer au peigne fin, histoire d’alpaguer les moutons noirs ; c’est la formation intellectuelle, morale et civique des hommes en treillis qu’il faudra repenser ; c’est la discipline et le patriotisme qu’il faudra réussir à inculquer dorénavant à tous ceux, grands ou petits, qui exprimeront le désir de construire la nation en servant sous le drapeau.
Et tant pis si une refondation de notre armée conduit au choix d’une armée de métier : elle au moins aura le mérite, non seulement de réunir moins de monde, mais aussi de générer des soldats plus consciencieux et aguerris, non seulement à la chose militaire, mais aussi et surtout au sens ultime de la discipline, de la patrie et de la république.
C’est tout cela aussi le prix à payer pour ôter de la tête des Burkinabè l’idée que les bidasses ne sont que de simples soudards qui écument les commerces, font main basse sur les téléphones portables et les motos et qui, ô comble de malédiction, volent et saccagent jusqu’à des orphelinats, qu’ils quittent en riant de bon cœur, tandis que d’innocents marmots traumatisés pleurent à vous fendre l’âme. Si c’est cela le remède qu’il nous faut, autant le prendre, et tout de suite !
Jean Claude Kongo
L'observateur paalga
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