Pour avoir défendu, les mains nues, la démocratie, contre les velléités de Blaise Compaoré de demeurer à vie au pouvoir par le « bricolage de la Constitution » pour reprendre l’expression d’Alain Juppé, homme politique français, des Burkinabè ont rencontré la mort les 30 et 31 octobre 2014. Ces derniers se sont donc sacrifiés pour une cause nationale. Dans la foulée, ils ont débarrassé le pays d’un système vermoulu qui aura duré presque 30 ans. Grâce à leur martyre, et c’est le moins que l’on puisse dire, les Burkinabè peuvent enfin espérer prendre rendez-vous avec l’Etat de droit et la démocratie.
Il est par conséquent juste que la Nation leur ait rendu un hommage solennel, ce mardi 2 décembre 2014. Désormais, cette date devrait être inscrite en lettres d’or dans les annales de l’histoire politique du Burkina, parce qu’elle porte, au-delà de l’émotion, une grande charge politique et civique : le don de soi à la patrie et le refus de l’arbitraire. Et cette leçon doit être enseignée dans nos écoles, lycées et collèges. Elle doit d’autant l’être que le système Compaoré avait travaillé avec méthode à éroder dans le pays, toutes les valeurs morales et civiques. Cette cérémonie d’hommage doit, de ce fait, revêtir une dimension pédagogique, dans la perspective de l’édification d’un autre Burkina dont les fondations doivent reposer sur des institutions démocratiques fortes, sur l’éthique et la responsabilité.
Il serait moralement inacceptable de faire fi des circonstances qui ont entouré leur mort
C’est pourquoi l’on peut dire avec force que l’hommage rendu aux martyrs aurait un goût d’inachevé s’il devait se limiter à un cérémonial au cours duquel des discours pathétiques et autres tirades devaient être servis aux Burkinabè, pour simplement leur signifier que ceux qui sont tombés, les 30 et 31 octobre derniers, méritent la reconnaissance de la nation. Que grâce à leur martyre, plus rien ne sera comme avant, qu’ils doivent désormais, pour cela, prendre place au panthéon des héros nationaux, etc. Tout cela est bien, mais leur rendre justice ne l’est pas moins. Cela passe forcément par l’identification des hommes et des femmes qui ont donné l’ordre d’ouvrir le feu sur des Burkinabè qui, les mains nues et légitimement, manifestaient contre les dérives autocratiques et anti-démocratiques de Blaise Compaoré. La responsabilité morale et politique de ces tueries incombe à ce dernier, puisque c’est sa volonté de s’accrocher au pouvoir par tous les moyens, qui a servi d’élément déclencheur au soulèvement populaire, avec tout son cortège de ruines et de larmes et pour lesquelles il doit s’expliquer devant les tribunaux du pays. Si Blaise Compaoré en porte donc la plus grande responsabilité, ceux qui ont donné l’ordre à la troupe de tirer ont aussi leur responsabilité dans ces tueries. Et dans une armée digne de ce nom, cela est facile à établir. Il serait moralement inacceptable de rendre hommage aux martyrs de l’insurrection des 30 et 31 octobre, tout en faisant fi des circonstances qui ont entouré leur mort.
La transition ne peut pas s’offrir le luxe de ne pas rendre justice à nos martyrs
Cette exigence est d’autant plus justifiée que ni le président de la transition, ni son Premier ministre n’ont daigné, dans leurs différentes sorties, jusqu’au moment où nous traçions ces lignes, prendre l’engagement formel d’identifier les coupables et de les punir. Si c’est une omission, c’est une faute. Si c’est par souci de protéger les présumés coupables, c’est encore pire. C’est pourquoi l’on ne doit pas craindre de dire que tant que les responsabilités ne seront pas situées dans cette affaire, et tant que les coupables ne seront pas punis, tous les acteurs de la transition devraient avoir un cas de conscience. En effet, tous autant qu’ils sont, doivent leurs postes et les privilèges qui y sont liés à ces Burkinabè qui sont tombés sous les balles assassines d’autres Burkinabè qui, pour le moment, ne sont pas inquiétés. Le seront-ils un jour ? L’on peut en douter. En effet, l’on peut avoir l’impression que certains acteurs majeurs de la transition n’y ont pas intérêt. Tant qu’ils seront là, la loi de l’omerta sera observée. Pourtant, tout le monde gagnerait à mettre fin à l’impunité. Car, autrement, l’on ne voit pas en quoi l’on pourrait dire que la messe de requiem du système Compaoré a été dite avec l’avènement de la transition. Celle-ci ne peut pas s’offrir le luxe de ne pas rendre justice à nos martyrs. Ce serait prendre le risque de se mettre à dos le même peuple qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir. Et ce peuple, depuis le 30 octobre dernier, a conquis, par son courage, le droit d’être citoyen, c’est-à-dire, des hommes et des femmes qui sont conscients qu’ils sont capables, s’ils le désirent, d’impacter par leur lutte, la vie politique de leur pays. Les nouvelles autorités du pays pourraient l’apprendre à leurs dépens, si elles devaient réduire seulement l’hommage aux martyrs à une séance publique et collective de lamentations, sans prendre l’engagement ferme de leur rendre justice. Plus qu’une obligation politique, c’est un devoir moral.
« Le Pays »
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