De 2015 à 2016, le Burkina Faso a enregistré plus d’une vingtaine d’attaques terroristes qui ont occasionné 70 pertes en vie humaine. C’est le bilan donné par le ministre de la Sécurité, Simon Compaoré, lors d’une conférence de presse le 24 mars 2017 à Ouagadougou. Les enquêtes, a annoncé le premier flic, ont permis d’interpeller plus de 70 personnes et de dérouler le fil de certaines attaques dont la plus emblématique reste celle contre le Cappuccino et le Splendid Hotel en janvier 2016.
Il y a des signes qui ne trompent pas : après la neutralisation d’un présumé terroriste, Arouna Dicko, et l’interpellation de 18 membres de sa bande le 22 mars dernier, le moral des troupes est au plus haut ; à commencer par celui de leur "commandant en chef", Simon Compaoré. L’intéressé avait beau déclarer au début de sa rencontre avec les journalistes que sa sortie n’était pas « une opération d’exhibition », il n’a pu s’empêcher de faire constamment allusion à ce premier succès majeur de ses forces sur le terrain.
Jubilant, le ministre de la Sécurité, qui « était en forme » dans une salle de conseil de la mairie centrale envahis par les médias, a enchaîné les petites phrases dès que les micros se sont ouverts : « Le silence ne signifie pas que les équipes ne travaillent pas », « Comme vous l’avez sans doute déjà constaté, nous sommes en train de monter en puissance », « Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie. » « Le tigre » a ensuite assuré que le Soum, terrain de chasse de Malam Dicko, ne serait pas une jungle hors du contrôle de l’Etat : « Pour rien au monde, on ne laissera un cm2 de notre territoire à ceux qui veulent installer des katiba… A partir de maintenant, c’est la résistance jusqu’à la victoire finale ». Pour peu, on aurait dit Le Che !
Pourtant si l’ombre du trépassé de la colline de Petega, dont le ministre a souligné que les enquêtes sont en cours pour préciser la nature de ses liens avec Malam Dicko, a plané sur cette rencontre, ce coup d’éclat des FDS n’était pas inscrit à l’ordre du jour. La conférence de presse était en effet prévue depuis belle lurette : c’était une promesse de Simon Compaoré en début d’année pour faire le bilan des actions terroristes.
Le ministre s’est ainsi livré à un rappel macabre : tout a commencé le 4 avril 2015 avec l’attaque d’une patrouille de gendarmerie et l’enlèvement d’un Roumain à Tambao. Depuis cette date et jusqu’en fin 2016, ce sont plus de 20 attaques terroristes qui ont été recensées dans le pays. Selon le ministre de la Sécurité, les principaux groupes qui écument le sahel burkinabè sont : AQMI, Al Mourabitoun, Ansar Eddine, le Front de libération du Macina, l’Etat islamique au grand Sahara et Ansaroul Islam de Malam Dicko. Leur chevauchée macabre a causé plus de 70 pertes en vie humaine, a informé le ministre de Sécurité qui se félicite que les enquêtes soient avancées et aient permis d’interpeller plus de 70 suspects. Mais surtout d’identifier les commanditaires et cerveaux de certaines attaques.
Sur la trace des terroristes du Cappuccino et du Splendid
- Commanditaire : Mohamed Ould Nouiny, alias El Hassan, émir du groupe terroriste Al Mourabitoune, adjoint de Mokthar Belmokhtar (activement recherché) ;
- chef des opérations : Mimi Ould Baba Ould Cheikh (arrêté au Mali en janvier 2017) ;
- transporteur de la logistique : Ibrahim Ould Mohamed (arrêté au Mali en 2016 et impliqué dans l’attaque de Grand-Bassam) ;
- superviseur de l’attaque : Abderrahmane sans autre précision, homme de confiance de Mohamed Ould Nouiny (activement recherché) ;
- parrain et financier : Yahiya Abou El Hammam, émir du Sahara, responsable d’AQMI.
Voilà l’identité des trois assaillants du Cappuccino et du Splendid Hôtel. C’est l’arrestation, puis les aveux de Mimi Ould Baba Ould Cheikh et d’Ibrahim Ould Mohamed, tous deux d’anciens pensionnaires du site de réfugiés de Mentao à Djibo qui ont permis aux enquêteurs de démêler le fil des évènements. C’est le chef d’état-major général adjoint de la gendarmerie, le colonel Serge Alain Ouédraogo, qui a livré le récit effroyable de la préparation de ces attaques.
«Mimi Ould Baba affirme qu’il a été présenté au nord du Mali au sieur Mohamed Ould Nouiny, alias El Hassan, adjoint de Mocktar Belmocktar, responsable du groupe Al Mourabitoun, pour un projet d’attaque sur Ouagadougou. Suite à son adhésion audit projet contre une promesse de prime de 10 millions de francs CFA dont le paiement sera assuré par Abou Yahiya, responsable d’AQMI et émir du Sahara, il s’est rendu quelques semaines avant l’attaque à Ouagadougou en compagnie d’un individu de race arabe prénommé Abderrahmane avec des cartes d’identité nigériennes pour une mission de repérage de sites comme potentielles cibles. Les sites repérés, visités, photographiés et filmés sont : le café-restaurant Cappuccino, le restaurant « Le Verdoyant » et la devanture du Splendid Hôtel. Du 20 au 25 décembre 2015, Mimi et son compère Abderrahmane ont séjourné à l’auberge Assikpo dans la zone de Kwame N’Krumah pour effectuer la mission de repérage.
Mimi Ould Baba s’est enregistré dans cette auberge sous une fausse identité (Omar A. Yanya) et y a occupé la chambre n°7 en compagnie du nommé Abderrahmane. De retour au Mali, les deux terroristes ont de nouveau rencontré Mohamed Ould Nouiny pour lui faire un compte rendu.
Une fois le choix porté sur le café restaurant Cappuccino, Mimi Ould Baba a été chargé de conduire la mission sur Ouagadougou. L’armement et le matériel de l’attaque ont été soigneusement dissimulés dans un pneu de camion semi-remorque que Mimi a fait convoyer au Burkina Faso par les soins de son lieutenant Ibrahim Ould Mohamed contre une promesse ferme de 1,5 million de FCFA.
Ibrahim Ould Mohamed a pénétré le territoire burkinabè le 5 janvier 2016 avec l’armement soigneusement camouflé dans le pneu. Venu de Boni au Mali à bord d’une Toyota Hilux double cabine, il a emprunté la compagnie de transport STAF à partir de la ville de Djibo.
Une fois à Ouagadougou, Ibrahim Ould a été hébergé quelques jours au domicile d’Alhousseini Bocar Maïga. Sur instruction de Mimi Ould Baba, Ibrahim Ould Mohamed a contacté un jeune Burkinabè du nom de Maliki Sawadogo pour louer une villa devant héberger le commando au complet. Ignorant tout de leurs intentions, le jeune Maliki, auprès de qui Mimi Ould Baba achetait régulièrement du Bazin et des boubous à chacun de ses passages à Ouagadougou, a fait les démarches auprès du sieur Nayabtenga Tiemtoré, dit Gourma, pour un contrat de bail.
Monsieur Tiemtoré, qui est intermédiaire dans l’immobilier (démarcheur), a répondu aux sollicitations et proposé aux intéressés une mini-villa meublée dans le quartier Sinyiri proche du SIAO. La villa a été louée pour un séjour d’un mois pour un montant cumulé de 300 000 F CA que les terroristes ont payé cash. Mimi Ould Baba est entré sur le territoire burkinabè le 9 janvier 2016 avec les trois assaillants à bord d’une berline noire de marque Hyundai immatriculée au Togo. Ils ont rallié la ville de Ouagadougou en passant par Djibo.
Du 9 au 14 janvier 2016, Mimi Ould Baba, les trois assaillants, Abderrahmane et Ibrahim Ould Mohamed, ont séjourné dans la mini-villa louée au quartier Sinyiri. Le 15 janvier 2016 (jour de l’attaque), Ibrahim Ould Mohamed qui a dormi à la gare STAF Ouaga, a pris le premier départ matinal pour Djibo. A 19h, Mimi Ould Baba a déposé les trois assaillants derrière l’immeuble abritant le café Cappuccino et s’en est allé directement pour Djibo. Au moment où les coups de feu crépitaient, seuls les trois assaillants étaient encore dans la ville de Ouagadougou. Peu après 23h, Ibrahim Ould Mohamed et Mimi Ould Baba, après s’être retrouvés à Djibo, ont traversé ensemble la frontière burkinabè par un chemin défilé pour le Mali avec le véhicule de Mimi Ould Baba. » Fuite et fin… Selon le colonel, les investigations qui sont toujours en cours, ont permis d’interpeller Maliki Sawadogo, Nayabtenga Tiemtoré, dit Gourma, et Alhousseini Bocar Maïga, le logeur des terroristes.
La famille Sawadogo
Le 9 octobre 2015, la brigade de gendarmerie de Samoroguan était prise pour cible par des terroristes. On en sait un peu plus sur le commando. Le groupe d’assaillants, selon le chef d’état-major général adjoint de la gendarmerie, était dirigé par Aboubacar Sawadogo, alias Boubacar Mossi, originaire de la région de Kaya et ancien membre de la police islamique de Tombouctou. Il avait pour mission d’installer une katiba dans son pays d’origine. Et pour cela, il a jeté son dévolu sur la zone d’Orodara. L’assaut a été mené avec 13 assaillants, soit 4 Maliens et 9 Burkinabè. Son fils a été tué au cours de l’attaque qui avait fait trois morts du côté de forces de l’ordre. Lui-même, blessé, a été arrêté plus tard au Mali.
Le nom d’Aboubacar Sawadogo est également cité dans une autre affaire djihadiste qui a fait beaucoup de bruit : le démantèlement d’un réseau de recruteurs dans le quartier Kilwin de Ouagadougou. Dans la nuit du 22 au 23 octobre 2016, l’opération de la police avait permis de neutraliser un suspect et d’interpeller un autre. Le seul en fuite, Abdoulaye Sawadogo, alias Abdallah, n’est autre que le petit frère d’Aboubacar Sawadogo, a indiqué le colonel Serge Alain Ouédraogo.
Hugues Richard Sama
Simon a dit
- Parmi les origines de la menace terroriste au Burkina, le ministre cite « le lourd héritage de l’ancien régime qui avait pactisé avec certains groupes à travers des compromissions ou des compromis pour être à l’abri (trafics illégaux, traitement des rançons des prises d’otages, bases arrières pour certains groupes armés, etc.) »
- A propos de l’enterrement à la sauvette du directeur d’école Salifou Badini : « Si Badini a été enterré là-bas le même jour, c’est la volonté de sa famille. Ce n’est pas l’Etat qui a décidé de l’enterrer là-bas. Nous n’avons fait que respecter la volonté de la famille ». Simon Compaoré a promis au passage que les écoles fermées seraient rouvertes.
- Les koglwéogo peuvent-ils être sollicités dans la lutte contre le terrorisme ? «Il est fait appel à la contribution de chacun. Vous, les journalistes, vous avez votre responsabilité : faire table rase des informations qui peuvent saper le moral des troupes. Les Koglwéogo sont des Burkinabè, ils surveillent, ils ont des informations. S’ils ont des informations, c’est bon à prendre. Mais les amener sur le terrain aux côtés des militaires, des gendarmes n’est pas encore envisagé »
- Aux journalistes pour souligner la nécessité de la collaboration entre populations et forces de l’ordre : « Si vous avez des informations sur Malam, il faut nous les faire remonter. Si c’est concluant, on va vous appeler à côté pour vous encourager.»
L'Observateur paalga |