Grève des magistrats : « Y a quoi encore même ? » PDF Imprimer Envoyer
Écrit par L'Observateur paalga   
Mardi, 13 Juin 2017 09:46

Le 8 juin 2017, le palais de justice de Manga a été pris pour cible par des manifestants qui réclamaient la libération d’un prévenu du nom de Séni Zoungrana, placé sous mandat de dépôt. Leur furie a eu pour conséquence un palais de justice vandalisé. En signe de protestation et de solidarité, les acteurs de la justice ont décrété un arrêt de travail de 72 heures à compter du lundi 12 juin 2017 dans tous les palais de justice et établissements pénitentiaires du Burkina Faso.

Le moins qu’on puisse dire de cette grogne est que les usagers en ont été  surpris. C’est le cas de Jean Eric Zoungrana qui n’a pas caché sa surprise. « Grève ! Y a quoi encore même ? » s’exclame-t-il. Du palais de justice à la Cour d’appel de Ouaga 2000, comme lui, ils sont nombreux à être « déboutés » en ce premier jour de grève.

 

Accolé au portail du palais de justice, Nouria Kaboré est une lycéenne en classe de première venue faire une commission : établir un casier judiciaire pour un proche. Elle apprendra à ses dépends qu’en raison de 72 heures de grève des magistrats, tout tourne au ralenti ici. Un autre usager, plus vieux qu’elle, venu de Saponé pour résoudre un problème d’extrait de naissance, va aussi rebrousser chemin bredouille. « Avez-vous eu gain de cause ? » lançons-nous à notre interlocuteur qui lutte avec sa grosse cylindrée pour l’extirper du lot d’engins du parking. Sa réponse : «  hon hon ! »

Visiblement l’info sur la contestation des magistrats  n’est pas parvenue à tout le monde. «  Je ne sais pas ce qu’il y a.  Je viens d’arriver, car j’ai rendez-vous à 11 heures. Mais je constate qu’il n’y a personne ici », nous dit un autre monsieur avec une grosse enveloppe dans les bras portant l’écrit « Secrétariat général du TGI ». Ousmane Taram, venu déposer une demande de casier judiciaire lui aussi  apprendra  sur place qu’il y a grève. Les conséquences de cette protestation de trois jours ne sont pas seulement d’ordre administratif, elles sont aussi  économiques, surtout pour les petits commerces autour du palais.

 

« 72 heures de mévente »

La grogne à peine commencée, certains se plaignent déjà de l’impact de ce mouvement sur leur bourse. C’est le cas de Baudouin I. Somé, étudiant et vendeur de timbres à ses heures libres. « Cette grève va impacter négativement nos revenus. Ce sont 72 heures de mévente pour nous. Il aurait été plus judicieux pour les grévistes de régler à l’amiable le contentieux au lieu de bloquer l’administration », a-t-il regretté.

Les usagers, pris de court par cette grogne des magistrats, défilent les uns après les autres. Les agents de sécurité  se contentent de les renvoyer chez eux tout en leur suggérant de  revenir jeudi, jour probable de la fin du débrayage.

Au palais de justice, les portes sont closes. Pas d’affluence. Tout tourne au ralenti et il est difficile de vérifier s’il y a un service minimum. Les seuls habilités à aller et venir dans les couloirs sont les stagiaires et les agents de sécurité du palais.  Rien ne marche et Michel Sawadogo, démarcheur, affiche son incompréhension : « C’est à Manga qu’on a frappé et c’est à Ouaga qu’on a les répercussions », se désole-t-il. Il estime sa perte du fait de cette grève à un minimum de 20 000 francs CFA jour.

 

Pour une histoire de PMU’B… c’est inadmissible

Après le palais de justice, cap sur la Cour d’appel de Ouaga 2000. Tout est silencieux et vide. Pas un seul engin dans le parking. Seule une personne se trouve à la guérite. Volontiers et sous couvert de l’anonymat, elle nous renseigne sur le mouvement dans tous les tribunaux. « La grève est suivie dans son ensemble dans tout le pays. Si vous perdez la sécurité, il faut  laisser le travail pour aller la reconquérir », explique-t-il. Par la même source on apprend que des infortunés, qui n’ont pas eu vent du mouvement, ont aussi fait massivement le déplacement à la Cour d’appel. Alors que notre seul interlocuteur s’attarde à nous expliquer le mouvement, Jean Eric Zoungrana et un compagnon, enfourchés sur une  moto, arrivent sur les lieux. Il est un bachelier né en Côte d’Ivoire et dans  la perspective de s’inscrire à l’université, il est venu pour se faire établir un casier judiciaire et un certificat de nationalité. « Ne saviez-vous pas qu’il y a une grève des magistrats à partir d’aujourd’hui ? ». Il n’en fallait pas plus pour que le futur pensionnaire de l’université sombre dans la surprise. « Grève ! Y a quoi encore même ?» rétorque Eric Zoungrana tout en se grattant la tête. Inutile de préciser qu’il retournera à Yamtenga d’où il est venu sans obtenir gain de cause.

Sur la grogne des magistrats, certains estiment que le motif (lire encadré) n’en valait pas la peine. « Le problème  a commencé par une histoire de PMU’B. Pour peu, ils refusent de travailler  parce qu’ils sont des autorités et qu’on devrait avoir plus d’égard à leur endroit. Je trouve cela inadmissible. Je pense que notre gouvernement gagnerait à mieux s’imprégner des situations désagréables qui surviennent avant de s’en mêler. Je reconnais que  l’agression  subie par le GSP n’est pas du tout normale,  mais il faut que tout le monde sache qu’autant nous pouvons être en erreur, autant eux aussi peuvent l’être », s’offusque Souley Kiemtoré, démarcheur dans les environs du palais de justice.

 

Lévi Constantin Konfé,

Inès Débora Ouédraogo

& Assiata Savadogo


Déclaration des syndicats de la justice

 

Le 08 juin 2017, le palais de justice de Manga a été assiégé par une foule nombreuse disant réclamer la libération immédiate et sans condition de  Zoungrana Séni, placé le 05 juin 2017 sous mandat de dépôt à la suite d’une plainte déposée contre lui par Zango Patenema en raison d’une altercation les ayant opposés.

De 11h jusqu’à 15h30, les acteurs du palais de justice de Manga se sont retrouvés ainsi séquestrés avec des violences et menaces de toutes sortes sans qu’un dispositif d’intervention, durant tout ce temps, ne puisse être opérationnalisé dans ce chef-lieu de région situé à moins de 100 km de Ouagadougou, la capitale, et ce, en dépit des sollicitations répétées des premiers responsables du palais de justice de Manga.

En passant sous silence la condition psychologique créée au niveau des acteurs judiciaires du palais de justice de Manga, le bilan s’établit comme suit : porte d’entrée du palais défoncée, fenêtre de la guérite arrachée, porte de l’entrée du bâtiment abritant les bureaux enlevée, toutes les vitres de la devanture du bâtiment brisées, panneau publicitaire lumineux endommagé.

Cette situation n’est que la dernière d’une série de violences et de pressions multiformes vécues par la justice. En effet, il peut être utilement rappelé sans être exhaustif et sans s’étaler trop dans le temps que :

en mars 2016, à Diapaga, les acteurs judiciaires ont été l’objet de toutes sortes de violences en raison d’un mandat de dépôt délivré contre un présumé auteur de viol d’une fillette âgée d’environ 16 ans ;

en juin 2016, une manifestation opportuniste et calculatrice a été organisée par Safiatou Lopez et compagnie sur fonds de menaces devant le Tribunal de Grande instance de Ouagadougou pour des dossiers qui n’y étaient pas traités ;

en mars 2017, les acteurs du palais de justice de Koupéla ont souffert de diverses formes de menace et de pression en raison de la suite donnée à une plainte déposée par un citoyen contre des membres de Kolgweogo.

Les syndicats soussignés notent malheureusement que dans la majeure partie des cas où il a fallu que l’autorité politique assure et assume sa mission de sécurisation des acteurs judiciaires et de leurs locaux, ce n’est qu’après les dégâts que les forces ont pu être mobilisées. Les contours du message commencent à mieux se laisser saisir. Les acteurs politiques, toutes tendances confondues, qui semblent avoir appris à se placer dans un mutisme ou une timidité calculée face à ces violences à répétition contre l’institution judiciaire, perdent de vue que si celles-ci se retrouvent érigées en mode banalisé de contestation, ils en seront les vraies victimes. Le temps est, dans tous les cas, un arbitre contre lequel on ne trouve pas  à redire.

 

Au regard de ce que susdit et constaté, les syndicats soussignés :

1)- condamnent avec la dernière énergie la séquestration des acteurs judiciaires du palais de justice de Manga et les autres violences perpétrées contre eux et leurs locaux ; ils rappellent que les voies de droit restent ouvertes contre les actes judiciaires et que l’option de la violence est sans issue ;

2)- apportent leur  total soutien aux acteurs du palais de justice de Manga, peu importe ce qu’en diront les porteurs d’un nouveau type de vertu et de grandeur dont la spécificité est de s’abreuver aux sources de la haine, et qui voient dans toute réaction des acteurs judiciaires l’expression d’un corporatisme mal indiqué même quand leur vie est en jeu ; le passé récent, au Burkina Faso comme dans d’autres pays de la sous-région, a rappelé ce à quoi peuvent conduire les tentatives de légitimation pernicieuses et insouciantes de la violence ;

3)- réaffirment l’inviolabilité des enceintes des palais de justice et des établissements pénitentiaires ;

4)- décrètent un arrêt de travail de soixante-douze (72) à compter de la journée du lundi 12 juin 2017 dans tous les palais de justice et établissements pénitentiaires du Burkina-Faso en signe de solidarité avec les acteurs judiciaires du palais de justice de Manga ;

5)- exigent  la tenue sans délai d’une rencontre avec le ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique, le ministre d’Etat, ministre de la Sécurité, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation afin d’échanger sans faux fuyant sur la situation de Manga et, de façon générale, sur la sécurisation d’ensemble des enceintes des palais et des établissements pénitentiaires ;

6)- préviennent que le mouvement sera reconductible en l’absence de prise de mesures urgentes, efficaces et sans équivoque  par les autorités politiques pour créer les conditions de la reprise au palais de justice de Manga telles que mentionnées dans un procès-verbal ayant sanctionné une assemblée générale tenue par les acteurs dudit palais et dont copie reçue.

 

Ouagadougou, le 10 juin 2017

Le Secrétaire général du Syndicat des magistrats burkinabè (SMB)

Christophe Compaoré

 

Le Secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM)

Moriba Traoré

 

Le Secrétaire général du Syndicat autonome des magistrats du Burkina (SAMAB)

Antoine Kaboré

 

Le Secrétaire général du Syndicat des greffiers du Burkina (SGB)

Abdoul-Aziz Kafando

 

P/Le Secrétaire général du Syndicat national des greffiers (SYNAG), le Chargé de la communication

Jean Lankoandé

 

Le Secrétaire général du Syndicat national de la Garde de sécurité pénitentiaire (SYNAGSP)

Harouna Tarnagda

Mise à jour le Mardi, 13 Juin 2017 09:53
 

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