Cela fait 5 475 jours, soit 15 ans, que Norbert Zongo, le directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, a été assassiné avec ses trois compagnons d’infortune en rase campagne dans les parages de Sapouy (province du Ziro) à une centaine de kilomètres au sud de Ouagadougou le 13 décembre 1998. Ce drame a plongé le Burkina Faso dans une grande crise politique et sociale qui a fortement ébranlé les fondements de l’Etat par suite des manifestations monstres du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques, qui exigeait vérité et justice pour Norbert et ses camarades. Sous la pression nationale et internationale, une Commission d’enquête indépendante (CEI) a travaillé et désigné «six suspects sérieux» tous membres du Régiment de sécurité présidentielle (RSP).
A l’instruction du dossier, seul l’adjudant-chef Marcel Kafando a été inculpé en février 2001. Cinq ans plus tard, il bénéficiait d’un non-lieu le 18 juillet 2006. Une ordonnance qui sera confirmée le 6 août de la même année par la chambre d’accusation de la cour d’Appel. Depuis, le dossier est consigné au greffe de cette cour, et sera prescrit dans dix ans, donc en 2016. Les avocats de la partie civile en ont saisi dernièrement la Cour africaine des droits de l’homme à Arusha en Tanzanie, qui videra en début mars 2014 son délibéré. Quelle est évolution judiciaire de cette affaire depuis l’autodafé de Sapouy ? Décryptage judiciaire d’un dossier qui empoisonne la vie nationale depuis déjà 15 ans.
Une voiture brûlée, les quatre occupants calcinés. Voici la découverte macabre que les populations ont faite à Sapouy dans l’après-midi du 13 décembre 1998. Au nombre des victimes, Norbert Zongo, alias Henri Sebgo, journaliste d’investigation et directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant. Sous forme de rumeur, la nouvelle a vite fait de gagner Ouagadougou avant d’être confirmée le lendemain 14 décembre. Stupeur et désolation dans la capitale et le reste du pays. Mais ces sentiments ont vite cédé la place à la colère qui a grondé dans tout le Faso. L'Affaire Norbert Zongo était née.
Organisations de la société civile et formations politiques se liguent au sein du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques (CODMPP), dirigé par Me Halidou Ouédraogo, président du MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples). Sous la houlette de ce Collectif, les manifestants vont régulièrement descendre dans la rue à Ouaga et dans les autres villes du Burkina pour réclamer vérité et justice pour Norbert Zongo.
Avocat de la famille Zongo, Me Bénéwendé Stanislas Sankara se souvient d'avoir appris la mort de Norbert tôt dans la matinée du 14 décembre : «C’est un journaliste de L’Observateur Paalga, Pierre Tapsoba, qui, connaissant les relations que j’avais avec Norbert Zongo, m’en a informé au téléphone. Je me suis rendu aussitôt au domicile du disparu, où j’ai trouvé une famille éplorée. Les gens affluaient. Décision a été prise d’aller à Sapouy. J’étais de la délégation».
C’est le soir même de l’enterrement le 16 décembre 1998 que Me Sankara sera désigné avocat de la famille Zongo. L’homme de droit précise : «La famille a exprimé le besoin que cette affaire soit suivie au niveau de la justice et on m’a demandé d’assurer la défense du dossier. J’ai demandé qu’on m’adresse une lettre officielle d’assistance. Vous voyez, je ne me suis pas autosaisi du dossier».
Me Prosper Farama, alors au Cabinet de Me Sankara, s’est ainsi retrouvé à défendre le dossier Norbert Zongo. Depuis, le tandem d’avocats suit cette affaire.
Six suspects sérieux tous membres du RSP
Dès le départ, les suspicions se sont portées sur des militaires du Conseil, les kodos de Blaise Compaoré, accusés par une partie de l’opinion d’être les auteurs du drame de Sapouy avec François Compaoré, le frère cadet du chef de l’Etat, dans le rôle du commanditaire. Ceux qui soutenaient cette piste fondaient leur thèse sur le fait que cet autodafé a eu lieu à un moment où justement le patron de L’Indépendant enquêtait sur la mort de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré.
Le drame du 13-Décembre semblait réunir tous les ingrédients d’un crime politique mouillant même le sommet de l’Etat. Cela explique probablement pourquoi beaucoup suspectait la justice burkinabè de n’avoir pas les mains libres pour dire le droit dans cette affaire malgré la nomination d’un juge d’instruction le 30 décembre 1998 en la personne de juge Wenceslas Ilboudo, exclusivement consacré à cette affaire. A la disposition du magistrat instructeur, l’Etat avait mis 26 millions de nos francs pour les besoins de la conduite du dossier.
Mais dans un contexte de crise de confiance, les pressions nationales et internationales ont abouti à la mise en place d’une Commission d’enquête indépendante (CEI) ayant les pleins pouvoirs pour mener l’enquête et auditionner toute personne qu’elle désirerait entendre. Cette commission a été présidée par le magistrat Kassoum Kambou. Il faut cependant préciser que les conclusions de la CEI n’engageaient en rien le magistrat instructeur qui était libre de mener ses propres investigations.
Après avoir auditionné plus d’une centaine de personnes, la CEI a conclu que les mobiles de ce quadruple meurtre étaient à rechercher du côté des enquêtes menées depuis des années par le journaliste, et notamment sur ses dernières investigations d'alors concernant la mort de David Ouédraogo. Le rapport d’enquête qui a été rendu public le 7 mai 1999 a nommément désigné six suspects sérieux tous membres du RSP (Régiment de sécurité présidentielle), et tous étaient également impliqués dans le meurtre de David Ouédraogo : il s’agit de l’adjudant-chef Marcel Kafando, des sergents Koama Edmond et Banagoulo Yaro, du caporal Wampasba Nacoulma et des soldats de première classe Ousséni Yaro et Christophe Kombasséré.
Dans son cabinet d’instruction, le juge Wenceslas Ilboudo a travaillé durant de longs mois avant de procéder à l’inculpation de l’adjudant-chef Marcel Kafando le 2 février 2001 pour «assassinats et destruction de bien mobilier». L’homme avait déjà été condamné par le tribunal militaire à 20 ans de prison ferme dans l’affaire David Ouédraogo. Il était temps !
Voici ce que nous écrivions dans nos colonnes au sujet de cette inculpation dans notre rubrique Commentons l’événement : «... Loin donc d’être un aboutissement, cette nouvelle donne judiciaire inaugure les vraies angoisses du juge d’instruction, qui n’a plus d’autre choix que d’aller plus loin, ne serait-ce que pour montrer aux justiciables qu’il n’a pas pris cette décision pour amuser la galerie et se donner du temps.
De deux choses l’une : ou Kanfado se met rapidement à table s’il a quelque chose à se reprocher et l’on pourra remonter facilement à ses cosicaires et, éventuellement, à celui qui leur aurait passé le marché ; ou malgré les contradictions et incohérences de ses dépositions, il «tilte» et là le juge d’instruction n’est pas sorti de l’auberge sauf à avoir des indices moins frêles et moins contestables d’un strict point de vue judiciaire. Autant dire que maintenant, les choses peuvent aller très vite comme elles peuvent marquer un coup d’arrêt ou traîner...» (1).
Marcel purgeait déjà 20 ans de réclusion criminelle
Nous ne croyions pas si bien dire. Le dossier restera bloqué à ce niveau durant cinq ans. Il faut dire que le juge avait fini par inculper l’adjudant-chef dans le but de le faire passer du statut de témoin à celui d’accusé afin de pouvoir mieux enquêter sur lui, de faire les perquisitions, les confrontations et de poser d’autres actes judiciaires.
En réalité, l’inculpation de Marcel Kafando était basée sur les déclarations de Jean Racine Yaméogo, sergent-chef de l’armée de l’air, principal sinon unique témoin à charge dans cette affaire. Ce soldat de la base aérienne avait dans un premier temps soutenu avoir été à Ouagadougou avec l’adjudant-chef du RSP. Mais par la suite il avait soutenu le contraire, ce qui, du coup, faisait tomber l’alibi de Marcel Kafando, d’où son inculpation. Pour sa part, devant le juge d’instruction, l’inculpé a toujours maintenu avoir été en compagnie du sergent-chef Yaméogo ce jour fatidique.
Il faut aussi souligner que la fragile santé de l’ancien commando a contribué à faire traîner les choses dans cette affaire. L’inculpé, qui purgeait déjà 20 ans de réclusion criminelle, avait entre-temps bénéficié d’une liberté provisoire pour mieux se soigner.
Au bout de la deuxième confrontation entre les deux militaires le 31 mai 2006, Jean Racine Yaméogo s’est rétracté. Comme pris par une soudaine amnésie, ce personnage-clé du dossier n’était plus sûr de rien. Il ne se souvenait plus très bien si c’était la veille ou le jour du forfait qu’il avait rencontré Marcel Kafando. On remarque qu’il aura fallu tout de même 5 longues années pour qu’enfin le doute s’installe dans l’esprit du sergent-chef Yaméogo.
Conformément au sacro-principe selon lequel le doute bénéficie à l’accusé, le juge Wenceslas a pris la fameuse ordonnance de non-lieu en faveur de Marcel Kafando le 18 juillet 2006. Pour l’opinion, cette décision est un véritable coup de théâtre dans le dossier Zongo !
Les avocats de la partie civile interjettent immédiatement appel. Mais leurs espoirs seront douchés le 6 août 2006 par la chambre d’accusation de la cour d’Appel de Ouagadougou, qui a confirmé le non-lieu.
Les avocats de la famille Zongo s’abstiennent de formuler un pourvoi en cassation. Me Farama a expliqué qu’il fallait «arrêter ce jeu au risque de faire croire à l’opinion que l’affaire est en cours devant les juridictions alors qu’on était en face d’un juge d’instruction qui ne veut pas instruire, pourtant il a entre les mains un gros rapport produit par la CEI».
«Le Burkina est comme un tombeau blanchi : dehors c’est propre, mais dedans c’est pourri»
A peine un mois après la confirmation du non-lieu, un fait nouveau va ramener le dossier Zongo sous les feux de la rampe : il s’agit des révélations de Moïse Ouédraogo qui prétendait savoir un bout sur l’assassinat du journaliste d’investigation. Ce personnage était le demi-frère de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré. Il a accordé une interview au journal L’Evénement et a même écrit au procureur du Faso pour être entendu. Selon Me Farama, avec Moïse on avait «un témoignage indirect assez intéressant». Ce témoin a déclaré que François Compaoré lui aurait dit en substance que si tout se passe bien, on ne parlerait plus de l’affaire David Ouédraogo. Et de fait, deux semaines après, Norbert est mort.
Mais cette piste n’a pas donné grand-chose, puisque le parquet a estimé que le témoin n’était pas crédible, surtout que Dieudonné Sobgo, un ami et collègue de Moïse, s’est débiné en affirmant n’avoir jamais entendu le petit frère du président tenir de tels propos. Me Sankara a regretté cette décision de la justice, car «c’est un fait nouveau intéressant qui pouvait permettre de rouvrir le dossier Zongo».
L’intermède de Moïse a valu à L’Evénement un procès en janvier 2007 intenté par François Compaoré pour diffamation. Le canard avait été jugé et condamné.
Depuis, plus rien à se mettre sous la dent, le dossier étant au point mort au niveau national. C’est dans ce contexte que la famille Zongo et ses conseils ont entrepris, sous l’égide du MBDHP, de saisir la Cour africaine des droits de l’homme à Arusha en Tanzanie. Me Sankara a expliqué qu’une «plainte a ainsi été déposée en 2011 devant cette cour. En mars 2013, les débats ont eu lieu sur la forme de la plainte. Le 21 juin 2013, cette juridiction africaine s’est déclarée compétente pour connaître du dossier. Les 28 et 29 novembre dernier, on a plaidé au fond. Le dossier est mis en délibéré dans 90 jours soit en début mars 2014».
A Arusha, l’Etat burkinabè était défendu par les avocats Antoinette Ouédraogo et Anicet Somé. La famille Zongo par Me Bénéwendé Sankara et deux juristes-conseils, le Sénégalais Ibrahim Kane et le Nigérian Anselm Odinkalu Chidi. La veuve Geneviève Zongo a aussi fait le déplacement à Arusha.
L’espoir de la partie civile est que la cour affirme que dans le traitement du dossier Zongo, l’Etat n’a pas respecté l’ensemble de la législation nationale et internationale en matière de respect des droits de l’homme. Selon Me Sankara, «le Burkina Faso a ratifié tous les Traités, mais c’est comme un tombeau blanchi : dehors c’est propre, mais dedans c’est pourri».
Pour l’avocat à la célèbre moustache, si la cour d’Arusha donnait raison à la partie civile, «il sera demandé à la justice burkinabè d’ouvrir une information sérieuse pour qu’on puisse retrouver les assassins de Norbert et les traduire devant une justice impartiale. Dès qu’on a l’arrêt, on va le notifier à l’Etat et lui demander de permettre son exécution».
Prudent, Me Prosper Farama a fait remarquer que cette cour ne peut que donner des injonctions mais elle n’a pas les moyens de contraindre l’Etat fautif à les respecter. Et l’avocat a rappelé le cas du dossier Thomas Sankara, où l’Etat a été condamné mais «comme il n’y a pas de contrainte, le respect des injonctions dépend de la volonté de l’Etat mis en cause». Pour lui, «il faut que le dossier Zongo quitte le greffe sinon s’il est déposé là-bas, rien n’est entrepris pour la justice. Si l’Etat est condamné, il doit réaffecter le dossier à un juge d’instruction».
Sur ce plan, certains spécialistes du droit ne veulent pas suivre les avocats de la partie civile. C’est notamment le cas de certains juristes que nous avons rencontré et qui soutiennent que «seuls des faits nouveaux» peuvent remettre en selle le dossier Norbert Zongo au Burkina Faso (lire encadré).
La Cour pourrait aussi demander à l’Etat de procéder à des réparations (dédommagements) des familles éplorées et de prendre les mesures idoines pour qu’un tel drame ne se reproduise plus.
Un journaliste d’investigation assassiné alors qu’il traitait d’un sujet touchant l’entourage du président de la République, nous sommes au seuil sinon au cœur d’une affaire politique. Dans cette situation, la politique n’a-t-elle pas influé sur le traitement de ce dossier ?
Sur ce point, Me Farama répond sans détour : «La politique a avalé ce dossier. Ça peut paraître provocateur, mais c’est la vérité. C’est l’enquête sur la mort de David qui a visiblement conduit à la mort de Norbert, et c’est ça qui fait la complication du dossier. Si l’affaire ne concernait pas la famille présidentielle, les six suspects sérieux auraient été jugés et condamnés». Pour se faire convaincant, l’avocat a pris l’exemple du dossier Clément Oumarou Ouédraogo, où «un soldat, autour d’une bière, a déclaré être celui qui l’a tué. Le militaire est ensuite revenu sur ses déclarations, mais il a été inculpé, jugé et acquitté».
Si tant est que les politiques actuels aient entravé le bon déroulement de cette affaire, est-ce que le dossier Zongo peut rebondir si on assiste à un changement de régime au Burkina ? Pour Me Farama, tout changement de régime devra faire rebondir ce dossier : «Tout nouveau régime doit vider cette affaire sinon on n’aura pas un acte refondateur de notre société. Mais un jour ou l’autre, ce n’est pas une vengeance, il faudrait que cette affaire soit jugée et que la conscience collective évacue ce dossier».
Les avocats de la famille Zongo ont soutenu que si le dossier a été ainsi traité, c’est que les magistrats qui s’en sont occupés étaient proches des dirigeants du pays, car la plupart ont été nommés peu après à de prestigieuses fonctions : ambassadeur, ministres, conseillers à la présidence, procureur général, etc. Pour Me Farama, «on ne quitte pas le parquet pour se retrouver conseiller du président du Faso sans accointances avec le pouvoir en place».
Renchérissant, Me Sankara a déclaré que «c’est la preuve que la justice n’est pas indépendante. Je ne suis pas contre la promotion personnelle des uns et des autres, mais je suis contre cette façon de servir qui détruit l’image de la justice».
Quinze ans après la commission de l’autodafé de Sapouy, les assassins du directeur de publication de L’Indépendant courent toujours. Une durée qui irrite nos deux avocats même s’ils savaient pertinemment dès le départ que ça n’allait pas être simple. Au tout début, Me Farama était loin de s’imaginer que «15 ans après on en serait toujours au point de départ».
Pour sa part, Me Sankara était mentalement préparé à ce que la procédure dure un peu car «c’est un dossier criminel avec une instruction». Il soutient que «les choses sont allées vite au début avec l’identification des suspects sérieux, la détermination des types d’armes et leur provenance» ; seulement après, les choses ont traîné alors que la voie était tracée, car «le juge a résisté au fait au lieu de se laisser conduire par le dossier. Voilà pourquoi nous en sommes toujours là». L’avocat est persuadé que «Norbert Zongo a été tué pour des mobiles politiques, car il était un journaliste d’investigation très engagé. Cependant, je sais que tôt ou tard, justice sera faite».
Lors de la préparation de cet article, on avait voulu un article contradictoire avec le point de vue des différentes parties, notamment leurs avocats. Mais malgré nos sollicitations, les conseils de l’Etat n’ont pas voulu donner une suite favorable à notre requête. Mardi dernier, nous leur avons envoyé par mail un questionnaire ; malheureusement, jusqu’au moment où nous tracions ces lignes, on n’avait reçu d’eux aucune réponse.
Pour nous résumer, retenons que d’un côté le dossier Norbert Zongo est toujours déposé quelque part au greffe de la cour d’Appel ou du tribunal de grande instance de Ouagadougou. Il sera prescrit le 5 août 2016 à 24h si entre-temps aucun fait nouveau ne survenait. De l’autre côté, d’ici mars 2014, la Cour africaine des droits de l’homme va rendre un arrêt en faveur ou en défaveur de l’Etat. Mais un tel arrêt pourra-t-il avoir une répercussion directe sur ce dossier devant la justice nationale ? Sur ce point les avis sont partagés. Avis aux juristes pour décrypter cet imbroglio politico-juridique pour les profanes…
En attendant, au Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ), la lampe à pétrole continuera de brûler "jusqu’au jour où la lumière sera faite sur cet ignoble drame de Sapouy».
San Evariste Barro
La CEI a-t-elle tué l'affaire ?
Pour certains de nos interlocuteurs, le dossier Norbert Zongo, qui empoissonne depuis 15 ans la vie sociale et politique de notre pays, a en fait été «victime d’une extrême politisation et médiatisation» qui n’a pas favorisé un bon traitement judiciaire de l’affaire dans la sérénité. Tout se serait déroulé dans «une campagne de décrédibilisation de notre justice», ce qui a occasionné la mise en place de la CEI (Commission d’enquête indépendante), une structure extrajudiciaire dont les résultats ne s’imposaient pas a priori à l’institution judiciaire, notamment au juge d’instruction. Mais pouvait-il en être autrement vu le caractère ignominieux du crime, la personnalité de la victime et... l'indépendance à toute épreuve de l'institution judiciaire au Faso ?
"Difficile, concède un juriste, mais indiscutablement la CEI a quelque part tué le dossier dans la forme publiée du rapport d’enquête puisque des pans entiers de déclarations de tiers ont été rendues publiques au nom de la transparence. Mais cette façon de faire a aussi exposé ces personnes aux manipulations et aux pressions diverses». Il est vrai que, devant le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo, certains sont revenus sur leurs déclarations faites devant les enquêteurs de la CEI.
Il faut dire que les attentes du public étaient grandes et urgentes. Les gens voulaient ici et maintenant des coupables tout désignés. Et avec la publication du rapport d’enquête, «on a mis dans la tête du citoyen des noms, des scénarios, si bien qu’il était impatient de connaître le verdict», estime un de nos interlocuteurs.
Alors que "le pays réel" a crié au scandale quand l'ordonnance de non-lieu a été prise par le magistrat instructeur le 18 juillet 2006, notre juriste cité plus haut défend ce que nous avions à l'époque appelé "enterrement de première classe", car, dit-il, il n’y avait rien de probant, de solide si ce ne sont de fortes présomptions contre l’adjudant-chef Marcel Kafando (décédé depuis) du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) à partir du moment où le témoin-clé, Jean Racine Yaméogo, alors sergent-chef de l’armée de l’air, est revenu sur ses déclarations en soutenant qu’il était bel et bien avec l’inculpé à Ouagadougou le 13 décembre 1998, jour de la commission du quadruple assassinat de Sapouy. Reste à savoir s'il s'est rétracté de lui-même (ce dont beaucoup doutent) ou s'il a été "travaillé".
Concernant la plainte formulée devant la Cour africaine des droits de l’homme à Arusha en Tanzanie et qui a d’ailleurs été débattue dans le fond au début de ce mois de décembre, un membre de la société civile qui semble s'y connaître a quelque peu minimisé son impact sur l’évolution du dossier Norbert Zongo : pour lui, «cette juridiction africaine ne peut que condamner l’Etat burkinabè pour violation des droits de l’homme et d’avoir failli à son devoir d’assurer la sécurité de tous ses citoyens. Mais cette Cour ne dira jamais qu’il existe de nouveaux faits dans le dossier susceptibles de le relancer». Selon lui, «ce n’est pas une telle condamnation de l’Etat qui va mettre la famille Zongo devant les bourreaux de Norbert. Mais c’est clair que ce sera une satisfaction morale pour elle. De plus, certaines personnes pourraient faire une exploitation politique de la décision de la Cour africaine».
Du reste un de nos interlocuteurs ne dénie pas à la partie civile le droit de saisir cette juridiction supranationale, mais il estime qu’elle gagnerait plutôt à «travailler à faire parler ceux qui en savent sur l’affaire» afin de remettre le dossier en selle. En effet, a-t-il expliqué, «la seule condition qui s’impose ici pour la réouverture du dossier, ce sont des faits nouveaux».
Mais puisque manifestement l'affaire a toujours été plus politique que judiciaire, serait-il possible que les langues se délient si jamais il y avait un changement de régime ? «C’est possible qu’après le régime des gens parlent, mais il faut plutôt les inciter à parler maintenant. Attendre que les gens partent, c’est peut-être bien, mais maintenant c'est toujours mieux».
Et il faut faire vite puisqu'après la prescription (2), on ne pourra plus rien faire pénalement contre les auteurs du drame si on les retrouvait si ce n'est leur demander des réparations civiles (dédommagements). Il serait aussi possible de tenter une révision de la procédure mais c’est difficile à obtenir, car c’est très encadré par loi.
S. E. B.
Notes :
(1) Cf. «Réflexion sur une inculpation», in Commentons l’événement de L’Observateur Paalga du lundi 12 février 2001
(2) Le 5 août 2016 |