Avant le 24e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, on prenait pour une fausse alerte ou une plaisanterie de mauvais goût l’éventualité que Robert Mugabe en soit élu président en exercice. Mais voilà que les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’UA ont confirmé ce qui se susurrait : le président du Zimbabwe a été porté par ses pairs au faîte du continent noir pour un an.
Quelle mouche a bien pu les piquer pour qu’ils jettent leur dévolu sur «Old Warrior» ? se demandent certains, vu les nombreux griefs retenus contre celui-ci :
- son âge (il aura 91 ans le mois prochain) dont le poids semble déjà poser problème : un délégué n’a-t-il pas confié que «Papy Bob» semblait exaspérer par la longueur des débats à cause peut-être de son âge ? «Quoi ? Il y a encore deux points ? Mais je croyais que c’était fini», aurait-il lâché ;
- les violations répétées des droits de l’homme ;
- le musellement de l’opposition ;
- la réforme agraire au forceps qui a porté un coup à l’agriculture de son pays, etc.
Dans une Afrique où l’alternance et le respect des règles démocratiques sont de plus en plus exigés, l’élection de Mugabe qui en fait fi n’est peut-être pas le signal qu’il fallait envoyer aux Africains.
Que les diplomates cessent de justifier l’adoubement de Mugabe par un «hasard malheureux» et une règle impossible à contourner offrant, tour à tour, la présidence de l’UA à chaque grande région africaine en vertu de laquelle c’était le tour de l’Afrique australe avec le Zimbabwe comme seul candidat : quand Joyce Banda a menacé de livrer El Béchir à la CPI s’il venait du Sommet de Lilongwe, n’a-t-on pas résolu le problème en tenant le sommet ailleurs ? Ici aussi il faudra bien résoudre le problème, car interdit de voyager en Europe, en Occident, Mugabe pourra-t-il représenter l��UA au sommet du G-8 ou du G-20 ?
Et puis, confier le sort du continent à un nonagénaire qui s’écrie en plein sommet : « Encore le Soudan du Sud ! » « Les Sud-Soudanais et leur bétail ! Avec eux, c’est toujours une question de bétail », c’est pour qu’il résolve quel problème ?
Comme a dit une jeune diplomate assise à ses côtés, c’est une drôle d’année à venir pour l’Union africaine.
En tout cas, l’élection et le «show» de Papy Bob, certains avouent en avoir ri, d’autres en ont été gênés. Passe encore qu’un candidat traîne des casseroles, mais qu’il ne se préoccupe même pas des problèmes de l’heure tels Ebola, Boko Haram, le sahélistan ou la situation en Libye, il y a de quoi se faire des soucis.
Selon les observateurs, il a marqué son territoire en déroulant ses thèmes de prédilection plutôt que de parler, voire de s’appesantir sur les fléaux ci-dessus : c’est ainsi qu’en tant que héros de l’indépendance de son pays, il a rappelé le droit à l’autodétermination du peuple saharaoui, et, par panafricanisme, dit-on, il a appelé à une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU.
Comme d’habitude, Robert Mugabe a ciblé le colonialisme, notamment en rappelant que les «ressources africaines doivent appartenir aux Africains, pas à personne d’autre».
Parlant des réactions de l’Occident à son élection, il a déclaré : «Ce que l’Occident va dire ou faire, ce n’est pas mes affaires».
Excellence Robert Mugabe, au lieu d’utiliser la tribune de l’UA pour vilipender l’impérialisme, occupez-vous de nos maux.
Hélas, on ne se refait pas à 90 ans.
Ahl-Assane Rouamba
L'Observateur paalga |