Combien étaient-ils au juste hier dans les rues de Kinshasa, deux mille comme prétend la police, qui sous-entend que la manifestation a été un flop, ou deux cent mille ainsi que l’affirme l’opposition qui parle de véritable marée humaine ? La vérité est sans doute entre les deux. Mais cette querelle des chiffres, au demeurant habituelle sous tous les cieux, n’a guère d’importance. Ce qu’on retiendra surtout de cette journée qui s’annonçait comme celle de tous les dangers, c’est la dispersion des manifestants à coups de gaz lacrymogènes et d’autres joujoux de maintien de l’ordre, au motif que les marcheurs n’auraient pas respecté le tracé qui leur aurait été imposé par les autorités politico-administratives de la ville.
Certes, en bonne République, on ne saurait permettre aux citoyens de manifester où et comme ils veulent, mais tout semble montrer que les force de l’ordre étaient a priori préparées à l’affrontement. «Le non-respect du tracé». La belle affaire. Et ceux qui ne respectent pas la Constitution dans tout ça ? Est-il en effet besoin de le rappeler, les croquants battaient le macadam pour protester contre l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui permettrait au président Joseph Kabila de prolonger son bail au palais de la Nation. Le 11 mai 2016, les grands juges avaient décidé que «suivant le principe de la continuité de l’Etat et pour éviter le vide à la tête de l’Etat, le président actuel reste en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu».
L’argument selon lequel les contempteurs de Kabila ne sauraient ruer dans les brancards parce que l’arrêt est sans appel est assez spécieux ; car ce n’est pas parce qu’il est insusceptible de recours que l’on ne peut pas manifester publiquement son mécontentement. C’est même une bonne raison de le faire. Tout cela participe de la volonté du locataire du palais de la Nation de briser toutes volonté de contestations contre ses micmacs politico-judiciaires dont l’objectif final est de jouer les prolongations à l’issue de son mandat actuel qui expire dans quelques mois. Et on peut être sûr que le régime ne s’épargnera aucune peine pour parvenir à cette fin. Répressions de manifestants, inculpation de Moïse Katumbi pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, arrêt litigieux pour ne pas dire coup d’Etat constitutionnel des grands juges…
On n’est sans doute pas au bout de nos surprises. Et au rythme où vont les choses, on a bien peur que les ambitions de Kabila mettent progressivement le feu à un pays qui est déjà potentiellement explosif. Déjà hier, si les choses se sont relativement bien déroulées dans la capitale, ce n’était pas le cas à l’intérieur du pays, notamment à Goma, où un policier a été tué selon l’ONU. Information toutefois démentie par les autorités locales. Kinshasa, Lubumbashi, Goma, Kisangani, Béni… ça commence à craquer de partout, et on a bien peur que les désidératas monarchiques de Kabila, qui a hérité, il est vrai, du fauteuil de son père Laurent Désiré, ne finissent par perdre la grande RDC.
Mohamed Arnaud Ouédraogo
L'Observateur paalga |