Utilisation d’engrais inapproprié, abus de pesticides, usage des eaux polluées des barrages et des eaux usées provenant des égouts, telle est la face hideuse de la production légumière dans les zones péri-urbaines de Ouagadougou. Face à une situation aussi alarmante, l’association ‘’Yelemani’’ a décidé de vulgariser les bonnes pratiques agricoles, à travers un jardin potager qui encadre les femmes à la production de légumes 100% bio.
Elles sont au nombre de 17 femmes de la commune de Loumbila à s’engager avec l’association ‘’Yelemani’’ pour relever le défi de la souveraineté alimentaire. Elles ont la lourde tâche de convaincre leur entourage, notamment les maraîchers, qu’il est possible de produire des légumes en qualité et en quantité sans faire usage d’engrais et autres produits chimiques. Une ferme d’expérimentation agricole a été aménagée à cet effet à Loumbila, à 25km de Ouagadougou. A la ferme ‘’Yelemani’’, l’agro-écologie est le maître-mot, c’est-à-dire une agriculture durable qui préserve non seulement l’environnement mais aussi la santé du consommateur. Cette option fait suite à une étude sur les pratiques agricoles dans la commune de Loumbila, commanditée par "Yelemani", dans le cadre de son projet «souveraineté et sérénité alimentaire au Burkina Faso». Cette étude a permis de mettre à nu les mauvaises pratiques agricoles de la zone, notamment l’usage des pesticides chimiques et le maraîchage à une distance très proche du barrage, favorisant ainsi les maladies dues au contact direct avec les pesticides chimiques et les récoltes mal lavées, et l’ensablement dudit barrage.
Selon le témoigne d’une productrice, il a fallu, dès le début du projet, relever un défi majeur à savoir, transformer une terre aride en terre agricole. Elle raconte que beaucoup de femmes n’y croyaient pas. Mais progressivement, grâce aux techniques naturelles de conservation des sols, cette terre, jadis ingrate, est devenue féconde. Selon Soulemane Belem, leur formateur, la technique de fabrication du compost n’a plus de secret pour ces femmes. Outre le compost qu’elles utilisent pour fertiliser le sol, ces nouveaux disciples de l’agro-écologie font usage de produits naturels (cendre, feuilles de papaye, de neem, de tabac, etc.) pour protéger les plantes contre les insectes et autres prédateurs.
L’eau utilisée par les productrices est celle provenant d’un forage construit à cet effet. Dans l’optique d’utiliser cette eau de façon optimale, les femmes se sont mises au jardinage hors-sol. Elles usent de deux techniques de culture hors-sol.
Le jardinage hors-sol dans des sacs, une innovation
La première technique consiste à faire des planches clôturées en béton et à les remplir de terre mélangée à la fumure organique. C’est une technique qui permet non seulement de rationaliser l’utilisation de l’eau en la retenant dans le sol, mais aussi de protéger les planches des attaques.
La seconde technique de culture hors-sol est une innovation que ‘’Yelemani’’, dans sa quête d’innovation en matière de production durable, respectueuse de l’environnement, expérimente depuis le mois d’août dernier. Cette technique de culture n’est pas une nouveauté en soi, car pratiquée depuis longtemps dans plusieurs pays à travers le monde. Mais son adaptation au contexte local, à travers l’usage des sacs de céréales, en est une.
Elle consiste à mettre de la terre et du compost dans un sac et d’y placer au milieu du quartz à l’aide d’un tube PVC de 15 à 20 cm de diamètre. Les pépinières sont ensuite repiquées dans le sac et tout autour. L’histoire de l’adoption de cette pratique culturale a commencé le 5 août 2014 à l’issue de la visite par la coordonnatrice de "Yelemani", Blandine Sankara, d’un jardin hors-sol au Centre national de semences forestières (CNSF). Mme Sankara affirme être aussitôt tombée sous le charme de cette technique. C’est ainsi que dès son retour à la ferme, elle a demandé l’assistance de l’initiateur de ce jardin hors-sol au Burkina, M. Mahamady Ouédraogo, représentant de l'ONG Environnement et développement du Tiers Monde (ENDA-TM RUP) à former les productrices de ‘’Yelemani’’ afin qu’elles servent de relais à la dissémination de cette pratique agro-écologique. Aujourd’hui, chose faite, les femmes ont entrepris la mise en place de 100 sacs pour commencer. Selon les premières impressions des productrices, l’expérimentation de cette technique qui n’est qu’à ses débuts, est moins pénible et facile à entretenir dans la mesure où il ne nécessite pas de binage ou de désherbage. Par ailleurs, les attaques sont nettement réduites.
Selon Mahamady Ouédraogo, la technologie de jardin-hors sol a été introduite au Burkina Faso en 2012. Suite aux expérimentations concluantes conduites au Centre national de semences forestières, elle a été mise en place dans une école à Nagréongo. Pour Mahamady Ouédraogo, le jardin hors-sol peut être pratiqué par tous les ménages, qu’ils soient ruraux, urbains ou périurbains. En clair, c’est une technique 100% biologique qui fait la promotion de l’agriculture familiale parce qu’elle est à la portée de tous ceux qui souhaitent cultiver mais n’ont pas accès à la terre. Blandine Sankara dont l’association milite pour la souveraineté et la sérénité alimentaire, pense que cette innovation doit être vulgarisée dans les ménages afin qu’ils puissent produire, eux-mêmes,une partie des légumes pour leur alimentation. Enfin, la technique peut être une solution d’adaptation au changement climatique en ce sens qu'elle demande très peu d’eau et ne pollue pas l’environnement.
Montrer l’exemple
Rosalie Tapsoba, une productrice, se dit fière de participer à cette expérience. Même si elle reconnaît que le maraîchage conventionnel, qui utilise beaucoup d’engrais, est plus rentable financièrement. Mais elle dit avoir opté pour la production écologique afin de préserver sa santé et celle de sa famille. En effet, même si les légumes sont destinés à la vente, une partie est consommée par les familles des productrices. Par ailleurs, soutient Rosalie Tapsoba, les légumes biologiques ont meilleur goût et ne pourrissent pas vite comme les légumes qu’on voit actuellement sur le marché.
Les légumes produits par les femmes sont essentiellement destinés aux consommateurs de Ouagadougou. Des paniers de légumes sont composés par semaine et livrés dans la capitale aux clients. Selon la responsable des ventes, Martine Savadogo, les produits sont prisés par une certaine catégorie de consommateurs exigeants ou bien avertis. Les responsables de "Yelemani" espèrent augmenter la production afin d’accroître les revenus des productrices. La stratégie de l'association est de limiter au maximum les intermédiaires en mettant l’accent sur le lien entre les productrices et les consommateurs. Toutefois, Blandine Sankara, la responsable, précise que ce projet n’est pas tourné prioritairement vers la production de revenus. Il s’agit pour elle de former ces femmes afin qu’elles puissent voler de leurs propres ailes en matière de gestion d’un potager. Comme bien d’autres organisations qui œuvrent dans ce domaine, "Yelemani" entend apporter sa contribution à la vulgarisation des bonnes pratiques agricoles, notamment l’agro-écologie. Elle ambitionne de travailler à augmenter son offre de légumes bio et de susciter un engouement des consommateurs et des producteurs pour ce type de production.
Fatouma Sophie OUATTARA
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