Le jeudi 27 novembre 2014 dernier, le Premier ministre de la transition, Yacouba Isaac Zida, a accordé une interview à la presse nationale. Cet exercice, qui a duré 1 heure 30 minutes, aura marqué les esprits pour les raisons suivantes. D’abord, l’homme ne s’est pas illustré dans le balbutiement et l’esquive. En effet, si l’on compare sa sortie à celle que Blaise Compaoré avait faite en 1987, aux premières heures du Front populaire, l’on peut constater que le successeur de Luc Adolphe Tiao n’a pas bégayé une seule fois dans ses propos. Visiblement, avec assurance et conviction, il a su répondre à l’ensemble des questions qui lui ont été posées. Du point de vue de la forme donc, l’on ne peut pas avoir grand-chose à lui reprocher.
Ensuite, si l’on s’en tient au contenu, l’on peut également avoir des motifs de satisfaction. Le premier pourrait être lié à la gestion du cas « Adama Sagnon » par le Premier ministre. A ce sujet, Issac Zida n’a pas eu besoin de tergiverser pour reconnaître que c’est grâce à lui et à lui seul que l’ancien procureur décrié a été nommé à la tête du ministère de la Culture et du tourisme. En même temps qu’il assume son choix, puisqu’il demeure convaincu que le juge Sagnon aurait été à la hauteur de la charge, il a aussi eu l’humilité et la sagesse de revenir sur sa décision, pour ne pas créer inutilement des problèmes à la transition. Son attitude est d’autant plus à saluer que Adama Sagnon est son ami. Ce faisant, Zida a opté pour le choix de la raison au détriment de ses rapports personnels. Sous nos cieux, où l’humeur des princes qui nous gouvernent a force de loi, cette attitude est louable.
Le deuxième motif de satisfaction que l’on peut tirer de l’interview de Zida, est sa volonté affichée de demander des comptes à tous ceux qui se sont sali les mains sous l’ancien régime, à commencer, s’il le faut , par Blaise Compaoré. Cette attitude de Zorro n’est pas pour déplaire au peuple burkinabè. En effet, l’impunité était l’une des marques de fabrique du système Compaoré. Et elle a alimenté pendant 27 ans la colère des citoyens épris de justice contre la gouvernance Compaoré. La révolution du 30 octobre dernier ne servirait à rien, si les nouvelles autorités devaient passer par pertes et profits tous ces crimes, au nom d’une prétendue réconciliation nationale. Etancher donc la soif de justice de ses compatriotes est un impératif. Et Zida semble l’avoir compris. Mais des faits troublants pourraient être relevés, qui permettent d’être dubitatif quant à la volonté réelle de Zida de rendre justice au peuple burkinabè.
Les plus grands prédateurs ne sont ni le directeur général de la SONABHY, ni celui de la SONABEL
D’abord, l’on peut se poser la question de savoir pourquoi, dès les premiers instants de la démission de Blaise Compaoré, tous les bureaux des dignitaires de l’ancien régime n’ont pas été immédiatement scellés. Le temps mis pour prendre cette décision suffit à effacer bien des traces. Une telle mesure aurait certainement empêché d’éventuelles soustractions de documents précieux, dans la perspective de la manifestation de la vérité dans certains dossiers sales. L’on pourrait être intrigué également par le fait que Zida s’acharne aujourd’hui contre « les seconds couteaux » de l’ancien régime, alors que tout porte à croire qu’il n’a rien entrepris pour empêcher Blaise Compaoré, François Compaoré et autres, de franchir tranquillement les frontières du pays, pour se la couler douce à l’ étranger. Il l’aurait fait que personne aujourd’hui ne douterait de sa volonté réelle de faire rendre gorge, sans exclusive, à tous les prédateurs de notre pays. Et les plus grands prédateurs ne sont ni le directeur général de la SONABHY, ni celui de la SONABEL.
L’on pourrait enfin se poser la question de savoir qui a donné l’ordre aux éléments de la sécurité d’ouvrir le feu sur les manifestants. Le Burkina nouveau, que le Premier ministre s’emploie à mettre en place, sera une vue de l’esprit si par exemple, une réponse claire n’est pas apportée à cette dernière question. L’hommage que la nation s’apprête à rendre le mardi 2 décembre prochain aux manifestants tués les 30 et 31 octobre derniers, aurait un goût d’inachevé si cette question devait rester sans réponse. Et si les auteurs de ces tueries ne rendaient pas compte de leurs actes. Moralement ce serait indécent et politiquement un gâchis. Et puis, il y a la question de l’avenir du général Gilbert Diendéré. Des échos qui nous parviennent, bien des Burkinabè voudraient savoir si sa révocation procède d’une mise à l’écart ou d’une stratégie pour le mettre à l’abri et le faire oublier. Ils voudraient savoir, et c’est dans l’intérêt même de ce personnage sans histoire, si l’ancien securocrate de Blaise Compaoré n’a rien à se reprocher, au point de se promener tranquillement après la chute de son mentor. Pour toutes ces raisons, l’on peut se permettre d’accorder à la première interview du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, l’appréciation suivante : mention honorable, mais…
Pousdem PICKOU
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