Du fait de leur handicap, la plupart des personnes handicapées sont victimes d’exclusion sociale, et ont difficilement accès aux services sociaux de base. Au Burkina Faso, au nombre des textes législatifs et réglementaires adoptés, figurent la loi N°12 du 1er avril 2010 et ses décrets d’application. Une législation qui met en avant la carte d’invalidité aux personnes handicapées, un document aux multiples avantages. Mais sa mise en œuvre se heurte à la réalité du terrain.
En déposant son dossier au concours d’entrée à l'école nationale des régies financières (ENAREF) session 2014, Timothée Ouédraogo un étudiant diplômé handicapé a pris le soin d’y introduire une copie de sa carte d’invalidité. A sa grande surprise, ce document lui a été retourné sur place, au motif qu’il ne figure pas parmi les pièces à fournir. Pourtant, M . Ouédraogo est handicapé physique et selon la loi, cette carte lui donne droit à certains avantages eu égard de son handicap.
Selon la Convention des Nations unies, relative à la protection et à la promotion des personnes handicapées, la personne handicapée est définie comme «toute personne qui présente une ou des incapacité(s) physique(s), mentale(s), intellectuelle(s) ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à sa pleine et effective participation à la vie de la société sur la base de l’égalité avec les autres».
Pour Ousséini Badini, représentant pays au Burkina de Christian Bilden Mission (CBM), partenaire du Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale en matière d’inclusion sociale, cette situation de handicap correspond à la réduction de la réalisation des activités de la vie courante et des rôles sociaux (habitudes de vie). Elle résulte de l’interaction des facteurs personnels (déficience, incapacité, etc.) et des facteurs environnementaux (obstacles).
Il s’agit d’une personne qui a une déficience ou une incapacité et qui rencontre des obstacles provenant de son environnement physique ou social. Et selon le rapport mondial sur le handicap de 2010, on estime à plus d’un milliard le nombre de personnes handicapées dans le monde. Pour la Banque mondiale, les personnes handicapées représenteraient 20% des plus pauvres parmi les pauvres du monde. Quant à l’UNESCO, elle estime à 150 millions le nombre d’enfants handicapés à travers le monde qui sont victimes d’exclusion et de discrimination au quotidien. Au Burkina Faso, on dénombre 168 094 de personnes handicapées, soit 1, 2% de la population, selon le dernier Recensement général de la population et de l’habitation de 2006 (RGPH). Cette frange de la société qui a son mot à dire pour le développement socioéconomique du Burkina Faso, mais qui, malheureusement, baigne très souvent dans la marginalisation et par voie de conséquence dans la précarité. L’Assemblée nationale a adopté la loi 012 en 2010. Des décrets ont été pris pour son application. Il s’agit des décrets portant conditions de délivrance de la carte d’invalidité en faveur des personnes handicapées au Burkina Faso, portant adoption de mesures sociales en faveur des personnes handicapées en matière de santé et d’éducation, portant adoption de mesures sociales en faveur des personnes handicapées en matière de formation professionnelle, d’emploi et de transport. Afin de les aider à avoir accès aux différents services sociaux, le Burkina Faso, à travers le Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, a initié la carte d’invalidité, un document d’identification des personnes handicapées. Cette carte d’invalidité selon la loi n°012; leur confère beaucoup d’avantages.
Gratuité totale pour les personnes handicapées indigentes
A cet effet, l’article n° 4 de cette loi, détermine les avantages accordés aux personnes handicapées détentrices de la carte d’invalidité dans le domaine de la santé, l’éducation, la formation professionnelle, de l’intégration sociale, du transport, de l’habitat et du cadre de vie etc. Ainsi, selon l'article 3 du décret n°829 de 2012, dans le domaine de la santé, toute personne handicapée et non indigente, bénéficie sur présentation de la carte d’invalidité d’une réduction de 50 % en cas d’invalidité partielle, et 80% en cas d’invalidité totale des frais de consultation, de soins, d’examens médicaux et d’hospitalisation dans les centres sanitaires de l’Etat et des communes.
Quant aux personnes handicapées indigentes, elles bénéficient de la gratuité totale des frais de consultation, de soins, d’examens médicaux et d’hospitalisation dans les centres sanitaires de l’Etat et des communes (article7) du même décret. Cela concerne également les frais de scolarité et/ou d’inscription dans les écoles et les établissements scolaires et universitaires et des communes et les frais d’appareillages orthopédiques, de fauteuils roulants, de tricycles simples, de prothèses auditives ou visuelles, des cannes blanches et du matériel didactique Braille. En matière d’éducation, les élèves handicapés indigents bénéficient automatiquement d’une bourse d’études. «Les élèves et étudiants handicapés, notamment physiques de l’un ou des membres supérieurs, visuels, auditifs, mentaux ou souffrant de myopathie ou d’infirmité motrice cérébrale bénéficient d’un tiers du temps supplémentaire lors des évaluations, des examens et des concours». Et l’article n°10 du décret du 22 octobre 2012 d’ajouter qu’un quota d’emploi de 10% dans la fonction publique et dans les établissements publics de l’Etat est réservé aux personnes handicapées selon leur qualification et conformément aux textes en vigueur. L’article n° 11 de la loi n°012 exige que les responsables des établissements prennent des mesures pour favoriser l’accès des salles de classe aux élèves et étudiants handicapés et leurs assistants, guides et interprètes. A l’article n° 2 de cette même loi N°12, la carte d’invalidité est délivrée à toute personne qui présente une ou des incapacités physique(s), mentale(s), intellectuelle(s) ou sensorielle(s) durable(s) dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à sa pleine et effective participation à la vie de la société sur la base de l’égalité avec les autres. Elle est délivrée par le Ministère en charge de l’action sociale sur demande de la personne handicapée ou de son représentant légal. "D’une durée de 5 ans renouvelable, elle s’obtient surtout après une enquête sociale du ministère de tutelle pour déterminer et le degré de handicap et le caractère indigent", précise le directeur de la protection et de la promotion des personnes handicapées, Ali Demé. M. Demé poursuit que jusqu’à la date du 19 août 2014, seulement 547 personnes handicapées détiennent la carte d’invalidé.
«Il est vrai que les décrets d’application concernant les personnes handicapées mettent en avant la carte d’invalidité, mais la réalité est tout autre», confie Charles Ouédraogo, handicapé moteur, chargé de communication et presse du Réseau des organisations pour personnes handicapées (ReNOH). Du côté de l’Union nationale des associations pour la promotion des aveugles et malvoyants (UN-ABPAM), c’est la déception. «Quand mes camarades présentent leurs cartes pour accéder à certains services, surtout côté transport, certains les prennent pour des mendiants», avoue avec amertume, le délégué des élèves de l’école, Saidou Nikiéma malvoyant. «Je constate avec regret que cette carte ne confère pas tous les avantages dont il est question dans la loi n°012», déplore de son côté, le président du Comité national des jeunes aveugles, Jonathan Tapsoba.
Le président de l’Union nationale des associations pour la promotion des aveugles et malvoyants, Guy Yaméogo, lui-même handicapé visuel, qui détient sa carte délivrée en juillet 2014, dit ne pas être sûr que les détenteurs bénéficient effectivement des réductions de tarif en matière de santé, d’éducation et de transport.
Propos confortés par Charles Ouédraogo du RENOH. Il avoue que des promoteurs des sociétés de transport ignorent complètement l’existence de ces textes, encore moins ses décrets d’application. L’Etat ne disposant presque plus de transports publics, il est temps de se tourner vers le privé. «Je dis non de façon catégorique que j’ignore l’existence de la carte d’invalidité, d’ailleurs vous venez de m’en informer», avoue Bonaventure Kéré, président du Syndicat national des transporteurs routiers et voyageurs (SNTV). Aux gares de transport de la Société Rakiéta et de la Société de transport Aorèma et Frères (STAF) de Ouagadougou, des responsables confirment ne pas effectivement être informés de ces mesures. Cependant, Adama Ouédroago, responsable de Rakiéta Ouaga et Lassané Ouédraogo de STAF, affirment qu’ils viennent en aide très souvent à certaines personnes. «En face des personnes handicapées, le mot d’ordre qu’on a adressé à nos compagnies de transport est de saisir les responsables des gares afin qu’elles bénéficient d'avantages», lance M. Kéré, par ailleurs secrétaire permanent de la Fédération des syndicats des transporteurs. «Les cars d'il y a 5 ans, sont munis d’un dispositif pour faciliter l’accès des personnes handicapées». Des actions non en application de la loi, mais dans le cadre de leurs actions sociales. Ils disent n’avoir pas encore rencontré une personne handicapée avec la carte d’invalidité, même si déjà ils transportent gratuitement leurs moyens de déplacement. Qu’en est-il des devoirs des examens et des concours et des 1/3 du temps accordés de plus lors des compositions et que dire des structures sanitaires ?
A Yalgado, la carte n’ouvre pas toutes les portes
Avant l’adoption de cette loi, il existait des services sociaux dans certains centres hospitaliers. Déjà en 1991, au niveau du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), des textes régissaient la question de la prise en charge des personnes indigentes et des personnes handicapées; Il s'agit du Kiti et du Raboo. Selon le directeur du contrôle interne de l’hôpital Yalgado Ouédraogo, Nawinkpeon Auguste Joël Somda, ces deux textes définissaient la base générale des tarifications des actes et des hospitalisations, à savoir qui doit en bénéficier et à quels coûts ? Et c’est ainsi que les personnes indigentes et les personnes handicapées, munies de leur carte d’indigence (délivrée par les mairies) ou d’invalidité (délivrée par l’action sociale), à l'époque bénéficiaient d’exonération. «Chez ces patients, la prise en charge est totale, à moins que cela ne soit au-delà de nos capacités, à condition que les médicaments et tout ce qui est consommable et compétence se trouvent à l’intérieur de l’hôpital», indique le directeur de contrôle interne. «Ici à Yalgado, la carte d’invalidité est reconnue. Avec ou sans carte, les personnes handicapées bénéficient également des avantages conformément aux textes en vigueur, seulement dans la mesure de nos possibilités», renchérit pour sa part, Micheline Nanéma du service de l’Action sociale, même si elle reconnaît que la carte n’ouvre pas toutes les portes. A ce niveau, il s’agit de certaines pathologies, des examens spécialisés, des évacuations hors du Burkina Faso. A entendre le directeur du contrôle interne, la loi n°012 ne vient que renforcer ces dispositions déjà en application. «Très peu de personnes ont l’information, mais nous n’avons pas encore eu connaissance qu’une personne détentrice de la carte d’invalidité ait été rejetée par notre service social», nous confie-t-il. « Cependant en cas de difficultés, il n’est pas exclu de développer des stratégies de communication pour orienter les personnes handicapées vers le service social», affirme M. Somda. Il ajoute qu’en dehors des textes qui clarifient la prise en charge des personnes indigentes ou handicapées, depuis trois ans, l’hôpital Yalgado a mis en place un dispositif pour humaniser les soins en gérant des situations ponctuelles. Il s’agit, notamment des victimes de catastrophes, des victimes d’accident de la circulation avec les premiers soins et ce, toujours à la limite des moyens disponibles. Pour lui, ces personnes sont momentanément indigentes auxquelles il faut venir en aide.
Une épine de moins pour les diplômés handicapés
Pour la session 2014, grâce à la carte d’invalidité, une trentaine d’élèves de l’ABPAM, ont pu prendre part au concours directs de la Fonction publique. «Cette année, au cours des compositions, lors des concours directs, nous avons bénéficié des 1/3 du temps, donc 45 minutes contre 30 pour les autres candidats», a reconnu le délégué des élèves. Même si, à ses dires, cela n’a pas été respecté au niveau des textes d’intégration des Instituteurs adjoints certifiés (IAC). Sans citer de nom, le délégué Nikiéma souligne qu’il y a eu des candidats qui ont saisi le surveillant du jour par rapport au 1/3 du temps auxquels devraient en principe avoir droit. A leur grande surprise, le même surveillant leur a fait comprendre qu’il ignorait ce droit et qu’il pensait qu’elles venaient négocier des faveurs. Des situations que M. Nikiéma et ses camarades disent ne pas comprendre dans la mesure où le Ministère de l’Education nationale était informé de la présence des candidats de l’UN-ABPAM. A écouter les différents intervenants, il apparaît clairement que la loi n°012 du 1er avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées et ses décrets d’application est non seulement méconnue des intéressés et mais surtout des acteurs concernés. Et partant du principe selon lequel la loi, c’est la loi et « nul n’est censé l’ignorer», personne, n’est à excuser. Mais pour une application effective des textes en faveur des personnes handicapées, il faut une réelle implication de tous les acteurs et à tous les niveaux. Cela n’est pas de la seule responsabilité du Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale et de celle des organisations des personnes handicapées. Ainsi, il faut que toutes les parties prenantes soient informées des tenants et aboutissants des textes afin d’obtenir leur engagement. Pour ce faire, il faut, selon Charles Ouédraogo, en aval, un travail de fond et de sensibilisation pour que les différentes parties prenantes comprennent d’abord le bien-fondé de la loi et de ses décrets d’application, mais également qu’elles donnent leur pleine adhésion. «C’est un début et il faut que le Ministère de l’Action sociale s’investisse à fond en impliquant tous les Burkinabè», ajoute-t-il. Même cri du cœur à l’UN-ABPAM. D’ores et déjà, le Ministère de la Fonction publique joue sa partition dans la promotion et la protection des droits des personnes handicapées. Ainsi, il a ouvert dix concours au profit des personnes handicapées. Il s'agit des concours de gestion des ressources humaines, du Ministère de l'action sociale, du ministère de l'éducation nationale et de l'alphabétisation. Pour le Ministre Vincent Zakané, conformément aux droits qui leurs sont garantis par la Constitution, ces personnes ont le droit de prendre part aux concours. «C'est en application de ces dispositions que nous avons pris les premières mesures cette année. Et progressivement, nous allons les améliorer notamment avec l'application de quota aux différents concours», disait-il lors du point de presse qu’il a animé le 1er août 2014, jour de démarrage de l’administration des épreuves des concours directs de la session 2 014. L’implication de cette catégorie de candidats, traduit la volonté de l’Etat burkinabè de garantir l’égalité de chance à tous les citoyens.
Ce n’est qu’ensemble, que tous les citoyens du Burkina Faso parviendront à donner aux personnes handicapées, la place qu’elles méritent dans la société, en tant que sujets de droit et artisans du développement inclusif et non en tant qu’objets de charité.
Mariam OUEDRAOGO
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Soumaila Traoré dit Ismaël, secrétaire permanent de l’association des élèves et étudiants handicapés du Burkina
«J’ai le sentiment que nous ne sommes pas assez écoutés»
«Je n’ai pas besoin d’une carte d’invalidité pour prouver mon handicap ». Tel est d’emblée le propos de Soumaila Traoré dit Ismaël, jeune homme lourdement handicapé. Pour tout dire, il n’a ni pieds, ni bras. Pourtant, la carte d’invalidité devrait être considérée par toute personne handicapée comme le « sésame » qui doit lui ouvrir les portes de son épanouissement. Son handicap ne l’a pas empêché de faire des études scolaires.
Aujourd’hui, en année de licence à l’Unité de formation en sciences juridiques et politiques (UFR/SJP), Ismaël milite dans plusieurs structures pour la promotion des droits des personnes handicapées. Membre de la Cellule d’animation de plaidoyer (CAP) en faveur de l’application de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, il est toujours déterminé à gagner ce combat. Convention à laquelle le Burkina Faso a adhéré. Ce qui a permis à son Assemblée nationale d’adopter en 2010 la loi n° 012 et ses décrets d’application. De ces textes a vu le jour la carte d’invalidité. «C’est avec beaucoup d’euphorie que nous avons accueilli la carte d’invalidité», confie Ismaël. Mais son euphorie est de courte durée. Actuellement, il se demande toujours combien sont les personnes handicapées qui ont droit à un emploi ?, à la bourse ?, aux mesures sociales ? , au logement ? S’interroge M. Traoré. Tous ces aspects lui font douter de la volonté des autorités burkinabè dans la promotion des droits des personnes handicapées.
«Je connais beaucoup d’étudiants qui ne disposent même pas de moyens de déplacement, c’est triste», laisse-t-il entendre, avant de poursuivre, «même avec la carte, à l’Université de Ouagadougou, nous payons la scolarité comme les autres». En tout état de cause, Ismaël s’est assigné une mission : «je ne postulerai pas aux concours de la Fonction publique tant que toutes les personnes handicapées n’y prendront pas part ». Malgré tout, il ne désespère pas, parce qu’il est conscient que seule la lutte paie. C’est pourquoi, il invite ses camarades à quitter la rue, pour qu’ensemble, ils puissent mener le même combat, celui de la promotion des droits des personnes handicapées.
M.O
Sidwaya |